La fabrique des monstres : Robert Bogdan nous plonge au cœur du freak show américain

Pourquoi cela ne m’étonne qu’à moitié que le cirque Barnum vit le jour aux États-Unis ? S’il y eut bien une exposition coloniale à Paris, en 1931, qui témoigne de la piètre opinion que l’on avait à l’époque vis-à-vis du sauvage, cet Autre forcément mauvais car différent, donc à coloniser, éduquer, former… il n’en demeure pas moins que les difformités et autres maladies mentales n’étaient pas exposées à la vue de tous, dans le seul but de s’enrichir sur le malheur d’autrui. Cette idée nauséabonde est apparue dans cette société dégénérée, vouée à tous les vices et toutes les violences, dans cette conquête génocidaire de l’Ouest américain de la fin du XIXe siècle, période sombre de la toute petite histoire moderne des États-Unis d’Amérique.

Et comme l’être humain demeurera toujours égal à lui-même, on rappellera, dans un souci d’honnêteté, les fameux lancés de nains qui se déroulaient dans les années 1980 dans certaines boîtes de nuit françaises, avant que le législateur n’y mette fin.

 

Oui, l’Homme n’a que peu de considération pour ses semblables, surtout lorsqu’ils n’entrent pas dans la norme. D’ailleurs, en 1984, il fallut l’intervention d’une militante pour qu’une exhibition d’un homme grenouille soit annulée dans une foire subventionnée par l’État de New York. Il faudra attendre 1986 pour que ce type de spectacle soit définitivement supprimé. Non par une loi, mais tout simplement car… cela n’est plus rentable (sic).

 

Quel que soit le nom et la pirouette linguistique – bizarrerie, étrangeté, rareté, prodige – le commerce de l’exhibition de ces êtres humains considérés comme de simples animaux, différents donc impropres à la vie quotidienne, est tout bonnement insupportable. Autant le dire : les quatre-vingts photographies, stupéfiantes, à plus d’un titre, participent au malaise que laisse la lecture de cet ouvrage.

 

Dès le XVIIIe siècle, les forains firent commerce de ces êtres arrachés à leur pays, arguant de la différence des races, évoquant les caprices de la nature. Ainsi transplantés aux USA, les indigènes arboraient tout l’accoutrement propre à leur culture, confortant les croyances populaires en des races de lilliputiens, de colosses ou d’hommes bicéphales ; le candide spectateur pouvait ainsi se complaire dans des parallèles douteux avec les monstres de la mythologie.

 

Impostures que ces exhibitions qui s’habillaient d’une aura pédagogique pour cacher l’énorme machine à profits qu’elles généraient. Alors si le sujet ne vous chamboule pas trop l’estomac, vous plongerez dans cette étude érudite composée de deux grandes parties. Une première approche de l’histoire institutionnelle du freak show et sa mise en scène, des premiers cirques itinérants aux présentations en grande pompe dans les museums ; d’où découlera la constitution du monde du divertissement tel qu’on le subit encore aujourd’hui. La seconde partie complète le panorama général avec les registres exotique et emphatique qui modulèrent la présentation des freaks.

 

Déroutant.


François Xavier

 

Robert Bogdan, La fabrique des monstres – Les États-Unis et le freak show 1840-1940, traduit de l’anglais (USA) par Myriam Dennehy, 80 photographies N&B, Alma éditeur, octobre 2013, 285 p. – 29,00 €

Sur le même thème

1 commentaire

Déroutant en effet que ce livre, mais l'auteur pose la problématique dans une très belle et intelligente introduction, et n'a de cesse de rappeler que la plupart des "monstres" sont volontaires pour ces exhibitions.