Magellan, les océans pour domaine

Tout au long de l’histoire, une nation, une civilisation, un homme, a dominé le reste du monde, s’imposant pendant des décennies de diverses manières, par l’économie, la politique, la pensée, l’art, un modèle de vie ou encore une religion. Il y eut le siècle d’Alexandre, le siècle de Périclès, le Grand Siècle. Sous la reine Victoria, au XIXe, la Grande-Bretagne a une position hégémonique que lui enlèvent les États-Unis à l’orée du XXe.
Petit pays sans accès à la Méditerranée, la seule étendue qui compte alors, le Portugal loin des grands courants d’échanges européens regarde résolument vers l’Atlantique. C’est un amphithéâtre tourné vers la mer, son arène selon les mots de l’historien Yves Léonard, spécialiste du Portugal reprenant ceux de l’écrivain et homme politique lusitanien Joaquim Pedro de Oliveira Martins. La supériorité maritime portugaise entraîne sa domination universelle au début du XVIe siècle.
Conquérir les terres lointaines et inconnues s’apparente à une croisade mais cette fois sur les flots. Une des cartes de l’atlas Miller de 1519 montre le drapeau à l’astrolabe d’or planté un peu partout. Henri le Navigateur joue un rôle primordial dans cette expansion. A ses côtés, des explorateurs de plus en plus audacieux. Leurs noms sont célèbres, tels ceux de Vasco de Gama, Pedro Àlvares Cabral, Bartolomeu Dias, Afonso de Albuquerque et bien d’autres. Ils atteignent l’Afrique, les Indes, l’Asie, le Brésil. Entre l’Orient et l’Occident, Lisbonne, au centre d’une constellation de factoreries et de comptoirs, s’enrichit du commerce des épices.

Parmi ces habiles nautoniers se distingue Fernand de Magellan, né dans la région de Porto. Il est sans aucun doute le plus intrépide, le plus modeste mais le plus résolu, franc et direct, mélange d’intelligence et de courageimpassible et impénétrable, méticuleux et méthodique, maniant à la perfection les armes autant que les instruments de navigation.
C’est un sobresalente, un matelot qui va être appelé à mener l’existence la plus exaltante et périlleuse qui soit pour l’époque. Il vent accomplir pour la première fois le tour du globe. Pour cela, il monte après un accord avec Charles Quint une expédition comptant cinq galions et 240 marins en surmontant les pires entraves à son projet. Il devient amiral. Départ de la rade de Séville sur le Guadalquivir le 10 août 1519. Il entreprend alors une longue et difficile traversée, affronte la faim, le froid, les mutineries et les naufrages. Il explore des côtes ignorées, découvre le plus hostile des détroits à qui on donne son nom.
Magellan est presque au bout de son projet et de son triomphe lorsque sur l’île Mactan, aux Philippines, il meurt percé de flèches et de coups de lances. Sebastián Elcano, l’officier en second, finira le périple.  
Romancier, essayiste, traducteur, historien, homme de théâtre, Stefan Zweig quel que soit le sujet qu’il aborde, se révèle être un merveilleux conteur, une de ces plumes qui entraînent le lecteur dès la première ligne dans un bonheur de lecture jamais interrompu. Que ce soit dans un essai, une nouvelle ou un de ses rares poèmes, son style excelle, fascine, ne déçoit jamais, rend présentes les personnes et vivantes les choses. Avec des mots habituels ou des termes recherchés, il compose son texte, avance ses idées, glisse une sage sentence, émet un constat qui équivaut à une loi morale, développe sa pensée et transmet ce qu’il aime, l’altruisme, l’exemplarité des conduites, un idéal de paix, la valeur de humanisme. Toute vie qui ne se voue pas à un but déterminé est une erreur avait-il écrit un jour, phrase faisant écho à sa probité exprimée par cette autre : On peut tout fuir, sauf sa conscience.

Comme pour Marie Stuart ou Balzac, dans cet ouvrage, il donne vie à son personnage comme s’il l’avait longtemps connu et aimé. Les événements imprévus se succèdent, plus réels que dans un roman, et c’est bien là l’intérêt supérieur d’une biographie.
Stefan Zweig suit Magellan vague après vague, escale après escale, succès après échec. Il relate documents à l’appui l’extraordinaire odyssée du parrain du Pacifique, souligne ses exploits stupéfiants. Il embarque à bord des vaisseaux, il débarque parmi les peuplades indigènes, il partage avec les marins soumis à des conditions de survie d’une rare dureté un quotidien qui a pour unique horizon l’espace illimité des océans. Il est difficile d’imaginer une plus singulière épopée.  
Publié en 1938 à Vienne, ce livre est magnifiquement réédité, enrichi par des cartes, des gravures anciennes, des tableaux, des extraits d’archives provenant de multiples sources, assurant de ce fait à ces pages une rare qualité documentaire et visuelle.

Dominique Vergnon

Stefan Zweig, Magellan, 176 illustrations, 235x235 mm, éditions Paulsen, novembre 2023, 336 p.-, 39,50 €

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