Pax animae, le violoncelle-cénotaphe d’Akira Mizubayashi

Akira Mizubayashi fait partie de ces très rares auteurs qui parviennent à maîtriser une autre langue à la perfection au point d’être publiés. En arabe nous avions Salah Stétié qui avait réussi l’incomparable exploit de détourner le français vers la musicalité arabe et de parvenir à nous transmettre l’émotion ressentie lors d’une lecture poétique arabe, et cela dans la langue de Molière. Mizubayashi, lui, importe la noblesse et la métrique nippone dans un roman croisé où s’entre-chassent les destins de musiciens (interprètes ou artisans) sur plusieurs générations, entre la France et le Japon…
Comme certains romans de Philippe Djian qui s’articulent autour d’une playlist rock, ici s’impose l’écoute simultanée – pour ouvrir son âme (nom également donné à la pièce maîtresse du violoncelle) à la profondeur du texte tout comme son oreille à la beauté absolue de la musique – en attendant une réécoute seule dans le silence de la maison, une fois le roman achevé, des Suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach. Raison de plus pour adouber ce roman car il faut saluer la littérature quand elle invite à d’autres univers, et la musique, cette musique, est, devrait être enseignée dans toutes les écoles dès le plus jeune âge tant elle apaise, unie, enchante, en totale opposition à ce rap vulgaire et violent que n'écoute plus qu'en boucle une jeunesse perdue... L’ampleur et la somptuosité des sons émanant des quatre cordes semblaient élargir l’espace environnant comme si, tout à coup, la salle de concert se transformait magiquement en une église romane douée d’une acoustique flamboyante.
On songe aussi au Pascal Guignard de Villa Amalia et Tous les matins du monde tant le silence compte dans ce maillage des temps entre la fureur des hommes et la douceur de la musique. Ainsi, Guillaume, l'interprète du XXIe siècle remettra sur le devant de la scène internationale, lors de ses concerts, le Concerto d’Elgar, composé en 1918, année de l’enfer sur Terre : la fin de la Première Guerre mondiale a tiré du compositeur anglais un bouillonnement de colère et un abîme de tristesse, mais tout comme Rachmaninov, il a su tirer de la musique une puissance telle que malgré l’abattement c’est la beauté qui transpire entre le phrasé de l’interprète qui redonne vie à la musique mais aussi au monde entier. Tout comme Le Chant des oiseaux de Pablo Casals, cette pièce très courte qui redonne goût au quotidien, le vibrato du violoncelle déchire l'espace et le temps pour ouvrir la porte de la réconciliation.
Par le prisme de la langue, Akira Mizubayashi, souligne que l’essentiel d’une culture, d’un peuple réside dans cet outil de communication qui peut le meilleur comme le pire. Ultime témoin et dernière victime d’un monde totalitaire qui s’uniformise sous la poussée des woke, ces idiots utiles qui importent la novlangue, imposent leur hystérie fasciste, l’arrêt complet de toute raison critique et déversent leur fanatisme de masse sans se rendre compte qu’ils passent ainsi à côté du plaisir des différences, des échanges, des débats contradictoires, des aspirations différentielles, des affinités électives, tout un monde d’hier qui peut encore perdurer pour peu que l’on se relèvent. Et pour cela il faut une prise de conscience autrement plus percutante que les fumeuses théories du Giec ou la peur d’un nouveau Covid (qui, dit en passant a tué en trois ans 9,6 millions de personnes sur Terre, quand en période normale, la grippe en tue 12 : la Covid une pandémie, la grippe non ; allez comprendre…).
Livre d’autant plus important à l’aune des politiques de réarmement que met en place le Japon : jamais depuis la défaite de 1945 le pays du soleil levant n’avait autant investi dans son armée, comme si les 20 millions de morts qui lui sont imputés sont désormais effacés de la mémoire, comme s’il pouvait envisager de recommencer (en s’alliant avec les USA dans leur fumeux projet de guerre contre la Chine) ; alors oui, la grande musique et la littérature comme piqûre de rappel des temps bénis des échanges culturels plutôt que des bombardements sans fondement… avec leur allié de toujours, la peinture : d'ailleurs le livre s'ouvre sur l'extraordinaire portrait de Casals par Oskar Kokoschka.
Un livre pour renaître, se laver, changer d'air, s’ouvrir au monde autrement que dans le woke et la propagande de Davos, un livre pour que les Hommes de bonne volonté aillent en paix et non guerroient sans fin en servant le dieu consumériste qui est en train d’éteindre nos esprits. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, la première sélection du prix Goncourt a retenu ce foisonnant roman. À vous d’y porter votre attention pour en donner votre avis… In terra pax hominibus bonae voluntatis. Dona nobis pacem.

François Xavier

Akira Mizubayashi, Suite inoubliable, Gallimard, août 2023, 240 p.-, 20€
Découvrir les premières pages...

Aucun commentaire pour ce contenu.