Oskar Kokoschka dans l’œil du cyclone

En musique on parle d’oreille absolue. Alors pourquoi pas en peinture l’œil parfait ? Immuable donc, dans son approche, son analyse, son interprétation. Son regard sur les arts, et donc sur le monde. Oskar Kokoschka n’est pas qu’un peintre des années 1910, enfermé dans la case de l’époque avec ses paires Klimt et Schiele. Il est, à l’instar de Kandinsky, un esthète. Un historien de l’art et un amoureux de l’art grec et baroque. Il est un artiste qui embrasse tout. Dans l’histoire je prends tout, disait Napoléon. Kokoschka pourrait dire de même… En y ajoutant son poil à gratter. Sa manière d’inciter ses contemporains à ouvrir les yeux. Et les consciences…
Ce recueil de textes apportera donc au lecteur une information nouvelle. Oskar Kokoschka possède une œuvre écrite tout aussi importante que ses tableaux, dessins et lithographies. L’artiste s’interrogea sur son temps toute sa vie. Observateur, épieur du détail, il capture avec intuition. Il en détermine des principes. Il en étudie les enjeux dans la relation étroite qui existe entre l’art, la société et les Hommes… Nous oublions trop souvent que l’esthétique est une caractéristique de la philosophie au même titre que le stoïcisme.
Au travers les différents textes ici réunis, nous découvrons toute la modernité de sa pensée. Et pour le lecteur francophone, y puiser toute la richesse des idées du grand artiste autrichien.

Ce qui fait l’homme, ce n’est pas d’être né, mais de le devenir chaque jour.

On retrouve le défi camusien dans cette maxime. Une manière d’aborder la vie dans la quintessence du sauvage. Avec pour objectif de tirer les fils de la nouveauté. De contrer la tradition. De s’ouvrir au monde… Loin des chapelles Oskar Kokoschka aimait à marier l’art allemand, flamand, italien, baroque. De toutes ses influences il tirait une œuvre peint mais aussi des réflexions intellectuelles. D’ailleurs Munch et Van Gogh influencèrent son travail au même titre que les Anciens.
Kokoschka parle ici aussi bien d’art ancien que contemporain, d’ici ou d’ailleurs. Car les questions de fond sont identiques. Par son style qui participe à la digression, mêlant les thèmes, il englobe tout le XXe siècle. Et offre un plaisir de lecture rare. Tissant à travers les siècles un tableau d’aujourd’hui, édifiant par la connaissance des Anciens, ce dessein de maintenir l’Homme au centre du monde. Il refuse d’oublier le passé. Point d’homme nouveau mais plutôt un homme complet.

Les amoureux à Mégère, 1917

Compartimenté en quatre parties, l’ouvrage s’ouvre sur la Conscience des visions. Une conférence de 1912 sur le thème de la perception. La deuxième partie est une constellation tournant autour des arts visuels. La troisième est consacrée à l’École du regard, son académie d’été ouverte dès 1953 à Salzbourg. Enfin la dernière partie s’intéresse à sa propre production.
Oskar Kokoschka avait des idées tranchées. Comme Kahnweiler, il abhorrait l’art abstrait. Il était contre la nouvelle religion, cette technologisation où le règne des machines conduit à la déshumanisation de la société. Ce rejet de l’abstrait deviendra le parangon des désillusions de Kokoschka. Le panthéon de la connaissance et de l’éducation demeure l’ère des Grecs. L’Antiquité est pour lui le sommet de la civilisation. Il dénoncera ainsi dès 1937 la tragédie de l’éducation qui sonnera le déclin de l’Occident.

La liberté est comme un verger qui aurait donné abondance de fruits par le passé et qui, laissé en friche, redeviendrait fécond à force de soin et de culture.

Oskar Kokoschka existentialiste ? Certes oui, car il a fait de l’humain son antre artistique dans toutes les phases de son travail. Ecce homo est l’expression qui se rapproche le plus de ce qu’il a voulu rendre.
Et si tout va bien vous aurez loisir au Musée d’art moderne de Paris, dès septembre, d’aller voir l’exposition consacrée à Oskar Kokoschka (il était grand temps, la dernière remontait à… 1974). Sinon un crochet par Vevey s’impose pour aller admirer la Fondation.

Annabelle Hautecontre

Oskar Kokoschka, L’Œil immuable – Articles, conférences et essais sur l’art, préface d’Aglaja Kempf, traduit de l’allemand & de l’anglais par Régis Quatresous, L’Atelier contemporain/Fondation Oskar Kokoschka, coll. Écrits d'artistes, avril 2021, 456 p.-, 25 €

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