Albert Camus (1913-1960), écrivain de l'absurde, philosophe, prix Nobel de littérature en 1957. Biographie d'Albert Camus.

Comprendre Camus

Mythe décisif

 

Comprendre Camus est un ouvrage qui a ses charmes, mais qui, malgré ses ambitions pédagogiques, ne saurait d’adresser qu’à ceux qui ont déjà lu Camus d’assez près.

 

Pour certains, ce sera sans doute un nouveau concept éditorial. Pour d’autres, cela s’appellera simplement une aberration. Chaque lecteur décidera.


Vu de loin, l’objet rappelle ces petits recueils de fumetti à la mode dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Évidemment, quand on lit sur la couverture, non pas Satanik ou Diabolik, mais Comprendre Camus, on veut croire qu’on est projeté dans un registre différent. Il n’empêche que le portrait de Camus qui accompagne ce titre est profondément lugubre et qu’un macaron « Essai graphique » confirme que l’impression initiale n’était pas tout à fait fausse. Y aurait-il là une bande dessinée au service d’un marketing culturel ? Une volonté de séduire des béotiens qui ne se seraient jamais intéressés à la philosophie de Camus ?


Louables intentions sans doute. Mais, à l’intérieur de l’ouvrage, la situation reste incertaine. Non, ce n’est pas une bande dessinée qui nous attend, mais plutôt un graphic novel. Nombreuses illustrations hors texte, dont certaines manquent cruellement de subtilité, pour ne pas dire qu’elles sont franchement de mauvais goût. Fallait-il vraiment ce logo Facel Vega pour évoquer la question de l’inachèvement de l’œuvre ? Le texte lui-même n’échappe pas à cette sidérante créativité graphique, puisque, selon la meilleure tradition typo-graphique des journaux populaires — le Parisien, par exemple —, il est ponctué de phrases ou d’expressions imprimées en gras, et d’autres, allez savoir pourquoi, EN MAJUSCULES. Cette esthétique destinée à maintenir l’attention en éveil aura pour seul effet de donner le tournis. Camus méritait-il vraiment d’être traité de la sorte ?


Dernier recours : le texte lui-même, qu’on fera donc l’effort de recomposer mentalement sans ces fioritures. Mais, comme l’ouvrage fait en tout cent trente pages et implique des raccourcis, là encore, la route est un peu rude. Ici, on enfonce des portes ouvertes. Lecteur, tu voulais un scoop ? Tiens-toi bien, en voici un : Albert Camus aimait beaucoup sa mère. Un autre, hyperfreudien ? Camus était très malheureux que sa mère ne sache pas lire, puisque, d’une certaine manière, il avait trahi sa condition en devenant écrivain.


Ces évidences ont au moins le mérite d’être vraies. L’affaire se complique quand l’auteur — mais pourra-t-on toujours invoquer pour sa défense le manque de place ? — ne craint pas de s’accommoder d’approximations qui ne sont pas loin de déboucher sur des contresens. Camus, affirme-t-il, aurait été membre du Parti communiste. Pourtant, l’Américain Lottman, qui sait, lui, ce qu’est un véritable travail de recherche, avait sauf erreur établi dans son Camus que Camus, s’il avait bien été sympathisant, n’avait jamais été membre du PC.


On a aussi droit à une analyse en trois coups de cuillère à pot de l’incipit de l’Étranger. « Aujourd’hui maman est morte. Ou peut-être hier. » Aucun sentiment, aucune émotion dans une telle formulation administrative, affirme après tant d’autres Jean-François Mattéi, notre cicerone. A croire qu’il n’a jamais assisté, après un deuil familial, à ces interminables discussions rituelles destinées à établir précisément, à la minute près, l’heure de la mort du défunt. Enquête inutile, paroles creuses, certes, mais qui n’en sont pas moins l’expression d’un désir d’accorder rétrospectivement au disparu la plus grande quantité de vie possible, et qui rejoignent les réflexions de Jankélévitch dénonçant le scandale qu’est toujours une mort, puisque, même si le défunt était mourant depuis longtemps, même si sa vie ne tenait plus qu’à un fil, il a bien fallu, pour qu’il meure, que ce fil se brise, qu’un minuscule vaisseau éclate, et bien malin qui pourra dire pourquoi ce vaisseau a éclaté à tel moment plutôt qu’une minute avant ou une minute après.  Il y a de toute façon dans l’incipit de l’Étranger cette obsession du temps qui est au cœur de tout le roman (cf. ce passage dans lequel le narrateur explique que ce n’est pas tant le fait de mourir qui le gêne que cette espèce de saut à pieds joints qu’on l’oblige à faire par-dessus plusieurs décennies, par-dessus ce qui aurait pu être sa vie).


Si comprendre veut dire « saisir dans sa totalité », Comprendre Camus est très loin du but qu’il s’est fixé. Mais, par ses obscurités mêmes, par ses imperfections, ce petit livre donne une envie furieuse de se replonger dans les textes mêmes de Camus, ce qui n’est déjà pas si mal. Maintenant, la vérité oblige à dire qu’il n’est pas sûr du tout qu’il donne aux jeunes gens qui n’auraient jamais lu la Peste ou l’Étranger l’envie de les lire.


La page 4 de la couverture nous promettait que Jean-François Mattéi allait dissiper les nombreux malentendus dont Albert Camus fait l’objet. Eh bien, il ne les a pas tous dissipés. Peut-être même en a-t-il ajouté quelques-uns.


FAL

 

Jean-François MattéiAeyn, Camus, Max Milo, « Comprendre/essai graphique », janvier 2013, 9,90 €


Biographie d'Albert Camus.

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1 commentaire

En cette année du centenaire de la naissance de Camus (le 7 novembre) ce livre apparemment mal ficelé ne sera sans doute pas le seul à célébrer – de curieuse manière, certes – le prix Nobel 1957. Toute date anniversaire est un marché (décisif) pour l’édition, comme l’Année Sainte l’est pour le Vatican… Pour la qualité on verra plus tard semble-t-il, l’essentiel est d’être au bon moment au bon endroit, soit en librairie… tant pis pour les lecteurs ! Et dire que pendant ce temps, ce pauvre Sisyphe pousse encore son gros rocher rond...