Flaubert, la mer, la mélancolie et… un trait de génie

Alexandre Postel est un des rares écrivains à ne s’être pas échoué sur le récit du second opus : Goncourt du premier roman (2013), prix du Deuxième Roman (2016) et donc toujours aussi lyrique, érudit et poétique, son quatrième roman nous emporte sur les rives atlantiques, à Concarneau, en compagnie d’un homme malheureux. Flaubert à cinquante-trois ans, il frise la ruine, il n’est envahi que par les ténèbres et plus rien ne jaillit spontanément de sa plume, si ce n’est quelques missives envoyées à sa nièce, et encore, la moitié finissent dans la corbeille. Faute de Lexomil il suit son ami Pouchet respirer l’air marin et assister aux recherches d’un savant qui se passionne pour la flore marine. Entre deux dissections les trois compères iront prendre des bains de mer avant de s’empiffrer dans la pension de famille où Flaubert a pris ses quartiers.

Est-ce que science et littérature feront bon ménage et relanceront la verve flaubertienne ? C’est là tout l’enjeu du défi qu’Alexandre Postel relève en imaginant Flaubert lutter, mot à mot, pour tenter de recouvrer son écriture ; non pas son imagination, mais la manière de, son style si particulier qui le classe parmi les plus grands… Après quelques chapitres d’ambiance, on rentre dans le vif du sujet avec une délectable perversion de voyeur, penché au-dessus de l’épaule de l’écrivain qui s’essaie, ébauche, rature, recommence… Un délice pour initiés mais aussi une belle leçon de vie qui démontre que la déprime parvient parfois à se combattre par l’acharnement à persévérer dans ce que l’on sait faire le mieux ; histoire de repousser l’insensé de l’existence dans les tréfonds ténébreux qui hantent notre âme dès lors qu’on se pose trop de questions. Flaubert emmagasine la beauté des paysages, ose un œil coquin sur la servante sans aller plus loin, dévoile son amour de Sade et s’encanaille avec le savant à des grivoiseries sur ses victimes et autres mollusques ; tout en sachant raison garder.

Ainsi naîtront de ce voyage La Légende de saint Julien l’Hospitalier, trois contes initialement parus dans des journaux, dont l’un, celui qui donne son titre au recueil publié en 1877, porte en lui une cruauté toute flaubertienne, portée non plus sur cette pauvre Bovary mais sur les animaux, crucifiés pour assouvir ces pulsions qui, parfois, hantent les Hommes au point de les pousser à commettre l’irréparable, que cela soit dans les choses de l’amour ou de la chasse. Un roman envoûtant comme la gifle d’un vent d’hiver.

François Xavier

 

Alexandre Postel, Un automne de Flaubert, Gallimard, janvier 2020, 136 p.-, 15 €
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