Une Histoire du cinéma américain, Stratégies, révolutions et mutations au XXe siècle


L'industrie de l'art


Quand ce livre est arrivé sur ma table de travail (plus exactement dans ma boite aux lettres), j’étais sceptique. Il ressemble à s’y méprendre à une thèse universitaire (avec graphiques à l’appui), genre que je fuis à toutes jambes. Aucune envie de me farcir les fumeuses élucubrations d’entomologistes du septième art.


Toutefois, possédant encore un fond de conscience professionnelle (même si je ne suis pas rémunéré pour les magnifiques chroniques que j’offre ici), je me suis lancé dans la lecture des premières pages. Convaincu que l’opuscule allait rapidement traverser la pièce pour atterrir dans la plus proche poubelle.


Et là : ô surprise ! J’ai été pris par le sujet et, surtout par sa présentation. Claire, limpide, nullement didactique et d’une rare précision. Quasi passionnante.


Il s’agit, en réalité, de raconter le cinéma américain de son point de vue économique. C’est-à-dire celui des producteurs et des exploitants (et, par extension, celui du public). Car les images animées ont rapidement constitué un marché, voire une incroyable source de revenus.


Pas à pas, on suit l’évolution de ce qui démarra comme une attraction foraine pour devenir, assez rapidement, Hollywood, c’est-à-dire à la fois la Mecque du cinéma et les plus importants studios du monde. En suivant cette progression, on découvre des aspects souvent délaissés et on comprend mieux le fonctionnement à la fois des majors et des studios indépendants. Le propos est d’autant plus captivant que les auteurs tordent le cou à de nombreuses idées reçues, références à l’appui, dont les liens entre le cinéma et la télévision mais aussi le réel impact de la Grande Dépression, les tentatives pour inventer de nouvelles techniques susceptibles d’attirer les foules, etc.


Rien n’est laissé au hasard. Les faits reposent tous sur des études sérieuses. Il faudrait être bougrement vicieux ou particulièrement bien documenté pour les remettre en cause.


Bien sûr, l’aspect purement artistique est laissé de côté. Acteurs et réalisateurs ne sont cités que dans leurs rapports avec les producteurs ou avec l’argent. James Stewart, par exemple, apparaît du fait qu’avec Winchester 73 il a signé l’un des plus incroyables deals de l’histoire d’Hollywood, qui fit de lui un homme très riche.


Il est toujours important, et intéressant, de comprendre les enjeux financiers qui président à la création d’un film. Les contraintes sont nombreuses et les règles figées.


Pour autant ce livre n’est pas exempt de critiques.


Le constant rappel des références (entre parenthèses) alourdit considérablement la lecture et, pour le coup, rapproche l’épopée d’une rébarbative thèse universitaire évoquée plus haut.


À force de vouloir tout dire, tout décortiquer, les auteurs se noient dans des détails et s’éloignent du sujet de base. Ainsi le chapitre parlant de l’évolution de la télévision jusqu’à s’appesantir sur les séries et les téléfilms qui, certes, furent produits par les majors mais ne peuvent être liés, stricto sensu, au cinéma américain. De même, le chapitre sur la constante évolution du parc des salles de cinéma finit par devenir rébarbatif du fait de sa longueur.


Mais le véritable problème se situe ailleurs : ce livre est une réédition de L’économie du cinéma américain, paru en 2009. Or, bizarrement, il n’a subi aucune actualisation. Et je soupçonne que certains chapitres ont été rédigés bien avant 2009. D’où des sentences de cette trempe : "Bien que tout le monde croie la MGM enterrée, la nouvelle direction, annonce, en mars 2006, un programme de distribution de 14 films pour 2006 et 2007…" Il eut été plus judicieux de souligner que ce fameux "programme" fut catastrophique. Ailleurs, il est question de Jack Valenti, grand manitou du cinéma américain. Mais il n’est nulle part fait mention de sa mort, survenue en avril 2007. De même nul ne parle jamais d’Internet et encore moins de la nouvelle donne née de l’omniprésence des super-héros au cœur du cinéma américain. Lacunes.


Je ne veux pas dire que ce trou béant de sept ans rende le livre obsolète. Néanmoins cela lui enlève de son impact et laisse le lecteur sur sa faim. Disons qu’il est incomplet. Dommage.


Philippe Durant


Joël Augros et Kira Kitsopanidou, Une Histoire du cinéma américain, Armand Colin, 286 pages, septembre 2016, 25 eur

Aucun commentaire pour ce contenu.