Les hallucinations de Leyla Goormaghtigh

Le profil psychologique de Leyla Goormaghtigh devient et si l'on peut dire à la mode. Elle est en effet diagnostiquée bipolaire. Et cette appétence pour surcompressions et décompressions est très prisée dans les milieux intellectuels. Ce qui n'empêche en rien la Genevoise de souffrir en des sauts où alternent manies voire illuminations d'un côté et dépressions, ruminations de l'autre. Elle vécut six années dans cette navigation à perte de vue entre visions mystiques et hallucinations cauchemardesques.
Ainsi possédée elle pouvait se réveiller dans le corps d’un autre :  meurtrier, un monstre, une sainte. Néanmoins ces images mentales demeurées tues et cachées l'artiste et écrivaine arrive soudain à les émettre en quelques jours par une série de dessins au crayon gris et de couleur. Le processus se précise ensuite de longues années. D’autres dessins viennent s’ajouter au corpus initial, et des sujets empruntés à l’histoire de l’art, au cinéma, à la poésie.
Dans ce livre de Leyla Goormaghtigh par effet de "pans" une intériorité ouvre ses profondeurs. Chacune possède des "corps" vibrants, leur solitude, leur mutisme.  Celui-ci  trouve enfin un moyen de se "dire", de se montrer  dans une effervescence presque liquide. L'auteure trouve ainsi un moyen de soigner son trouble en cette production de visions mais aussi d'explication. Cette analyse pratique lui fait explorer divers langages et genres. Entre une sorte d'heroic-fantasy et aussi une forme de réalisme. Entre anecdote et monstrueux, l'existence est à la fois mise à nue et revisitée.
L'angoisse soudain est bousculée car sa matière vive soudain médiatisée par l'art rationalise l’incongru, traduit l’autre dans le langage du même. L'altérité de l'ailleurs rencontre le connu chez une auteure qui à bien des égards devient notre semblable, notre sœur.
 
Jean-Paul Gavard-Perret
 
Leyla Goormaghtigh, Je suis la nuit, coll. Pacific, art&fiction, Lausanne, novembre 2021, 120 p., CHF32

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