Arthur Rimbaud & Patti Smith réinventent Une saison en enfer

Patti Smith a seize ans quand elle lit pour la première fois Rimbaud, elle est aussitôt envoûtée, son corps tremble même si elle en garde peu de souvenirs : ce ne sont pas les mots qui ont un sens mais la musique qu’ils composent pour donner cette vibration à la lecture. Laquelle se grave dans l’âme, s’enroule dans le cerveau et libère ses substances, brume omnisciente qui vous accompagne à chaque instant. Se sentant investie par une mission, Patti Smith fit le voyage à Charleville-Mézières, put voir le fameux revolver Lefaucheux, le photographia (que l’on retrouve au dos du marque-pages spécialement réalisé pour ce livre), en déclina une série coloriée.
Les dieux l’ont soulevé et jeté sur la Terre. Le réveil fut brutal, mais Arthur se débarrassa avec morgue de la poussière, lui, l’ange vengeur dont l’arme était le verbe. De retour à la ferme familiale, le bras en écharpe après s’être fait tiré dessus par Verlaine, il s’enferme dans le grenier pendant que tout le monde est aux champs et, à dix-neuf ans, il extrait de son cœur le plus purulent des constats. Il écrit avec un dégoût de lui-même mêlé au désir d’être reconnu. La phrase se contredit démontrant ce don pour saisir et détailler toutes les facettes du savoir. Il ose renverser le dogme catholique de son enfance et proclame la transformation du présent plutôt que l’avènement d’un monde nouveau.

À l’automne il envoie son manuscrit chez l’imprimeur, commande un tirage de cinq cents exemplaires, s’imagine au sommet de la gloire, et… dix exemplaires d’auteur plus tard, sombre dans l’oubli. Pas une ligne, pas un retour, rien. Ce n’est que dix ans après la mort de Rimbaud qu’un bibliophile découvre dans le sous-sol de l’imprimeur – décédé entre-temps – une caisse contenant les quatre cent quatre-vingt-dix exemplaires restants. Le mythe selon lequel le poète les aurait brûlés s’avère donc faux, et le pamphlet jadis ignoré devient une œuvre majeure de la littérature française.

Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août.
Vous êtes amoureux – Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût.
– Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire… !

– Ce soir-là… – vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade…
– On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.

On s’amuse d’un vers mis en parallèle avec un certain soir de 2017 quand un jeune banquier déjoua les pronostics : Assez ! Voici la punition – En marche !
Oui, quelle punition on subit depuis, raison de plus pour noyer son chagrin dans la poésie… cette langue écrite par un démon, un voyant illuminé qui fustigeait les fondations du monde:
Je n’aime pas les femmes. L’amour est à réinventer, on le sait. Elles ne peuvent plus que vouloir une position assurée. La position gagnée, cœur et beauté sont mis de côté : il ne reste que froid dédain, l’alignement du mariage aujourd’hui.

Ajoutée à la suite, une série de poèmes choisis par Patti Smith pour distinguer sa bohème, avant l’ultime fin dans une troisième partie consacrée aux lettres de Rimbaud à sa famille qui nous permet de suivre ses périples.
Patti Smith prit aussi la route au soir de ses vingt ans, poches tout aussi crevées, et donc seule l’âme gardait le cap, nourrie de poésie, de Rimbaud donc. Ses poèmes renferment des traces de son insolence, des souvenirs virulents, des pouvoirs prophétiques, la torpeur sensuelle de la jeunesse.
Ils furent lus et relus…

Elle passa sa nuit sainte dans des latrines.
Vers la chandelle, aux trous du toit coulait l’air blanc,
Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines,
En deçà d’une cour voisine s’écroulant.

La qualité des photographies en noir & blanc est extraordinaire : le jeu des ombres, le rendu en relief, on se retient de toucher le cliché que l’on perçoit en trois dimensions.
Et jaillit Le dormeur du val, appris jadis par cœur à l’école, et encore, et toujours, on le relit avec la même émotion, cette même chair de poule présente encore et toujours là comme un talisman, signe d’un poème ici-bas, calme bloc littéraire, total, absolu ; et la page se tourne, suivi de la Tête de faune, et derechef la même machinerie se met en route et les papilles s’agitent dans le ventre.
Qui ose encore douter de la poésie ?

François Xavier

PS – Jusqu’au 7 octobre, une exposition à la Galerie Gallimard (30 rue de l’Université) accompagne la publication de cet album en présentant une sélection de photographies, écrits et dessins.

Arthur Rimbaud & Patti Smith, Une saison en enfer, 1873, photographies, écrits et dessins de Patti Smith, 60 illustrations, 250x325, coll. Grande Blanche illustrée, Gallimard, septembre 2023, 176 p.-, 45€
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