L’Histoire de France sous le regard des peintres

Apprendre l’histoire par l’art, ou comment les événements majeurs de notre passé commun sont vus au prisme de tableaux peints par des artistes qui n’en n’ont pas été les témoins directs ? Mais aussi mesurer comment l’art interprète un épisode daté, transmis, consigné dans des écrits et des archives. Démarche doublement séduisante, complémentaire, même si comme le signalent les auteurs de ce livre, certaines dérives peuvent apparaître, dès lors que l’on se place sous l’angle de la restitution historique, et déformer la réalité. La tentation d’embellir les faits est naturelle. Les peintres y succombent d’autant plus qu’il entrait autrefois dans leur rôle de « faire passer un message officiel dicté par les commanditaires : le monarque, l’Etat, la République ». Mais il convient de les créditer d’intentions louables. Ils font voir ce que nous n’avons pas pu voir. Leurs œuvres reposent sur beaucoup de travaux préalables malgré des fautes d’appréciation évidentes.

A cet égard, le tableau réalisé en 1899 par Lionel Royer, montrant Vercingétorix déposant ses armes aux pieds de César lors du siège d’Alésia, est un « chef d’œuvre d’anachronisme ». Trop idéalisé pour être vrai ! Vercingétorix ne portait pas, lit-on, de moustache. Sur la toile, elle donne au profil sculptural du Gaulois ce rien d’aménité que nous aimons en lui. De même, les équipements des soldats, leurs armes, le harnachement de la monture, l’entourage du vainqueur romain, l’ambiance générale sont fantaisistes. Sans doute et qu’importe ! Cette peinture n’en demeure pas moins magnifique et nous renvoie à cette page qui participa à « la genèse de la France ».

La plupart des autres tableaux qui sont présentés ici ont accompagné les livres structurant  notre patrimoine historique tel qu’il a été longtemps transmis et  enseigné. Ils ont contribué à la compréhension des faits et ont apporté des éléments indispensables afin que la mémoire les retienne. Certains d’entre eux se sont gravés dans les souvenirs d’études de nombreuses générations et ont modelé leur vision de notre passé. La Campagne de France, 1814, d’Ernest Meissonier, (un seul n, et non pas deux comme souvent mentionné par erreur et confusion avec Juste-Aurèle Meissonnier 1695-1750), artiste critiquable peut-être pour sa minutie, classé parmi les pompiers, constitue néanmoins une relation émouvante et inoubliable. Le tableau, construit sobrement autour d’un axe horizontal, est traversé par deux lignes puissantes de chevaux au premier plan, d’hommes au second, avançant tous dans la neige. On sent le froid, l’épuisement, la résignation de l’empereur, le doute chez ses maréchaux. La relation de batailles est un travail exigeant. Il faut tout le génie de Delacroix pour exprimer la furie et la vitesse des chocs d’un combat sans merci comme celui de Taillebourg, en 1242. Les couleurs contrastées, les positions calculées, surtout celle de Louis IX au centre, les mouvements de chacun des adversaires servent la dynamique de toute l’œuvre.   

Le sacre de Napoléon 1er, à Notre-Dame de Paris, le 2 décembre 1804, tel que le décrit Jacques-Louis David dans son célèbre tableau exécuté quelques années plus tard, est l’exemple parfait d’un document iconographique qui est aussi fidèle que possible à ce que fut l’ordonnance de cette grandiose cérémonie. Ce qu’il gagne en vérité, il le perd en spontanéité. David, nommé après la Révolution premier peintre de Sa Majesté, ne se donne pas un rôle de simple spectateur. Il se représente parmi les invités, un crayon à la main, notant chaque détail, agissant comme celui qui doit rendre compte en quelque sorte officiellement du déroulement du sacre. Le résultat devient ainsi une pièce authentique du dossier participant au triomphe du « Nouveau Charlemagne ». Il est commode pour l’historien de se référer à ce tableau pour identifier les personnages de la cour impériale, puisque le peintre a eu assez de talent et de sens de l’observation pour copier un à un leurs visages.

Ce même David, emporté par son élan d’artiste au service de son maître, peint en 1800 un Premier Consul très conquérant franchissant les Alpes au col du Grand Saint Bernard. Poétisation, tribut rendu à la légende, volonté de saluer un destin en train de se forger ? En dépit de cela, ce tableau tout de fougue, superbe par ses contrastes et la perfection de la mise en scène, a accompagné « la jeunesse d’une France régénérée, trouvant enfin sa voie entre royalisme et république ».

La comparaison avec le tableau de Paul Delaroche, au demeurant excellent portraitiste, sans nul doute moins inspiré mais non contraint par le pouvoir, d’où sa liberté de pinceau, est intéressante. La situation géographique est identique. Il s’agit bien de franchir les montagnes séparant la France et l’Italie. Mais cette fois, pas de monture cabrée sinon un cheval courbé qui peine dans la glace, pas de manteau que le vent de la gloire gonfle mais déjà la redingote serrée qui sera celle des dures batailles futures, plus de regard impérieux mais des yeux battus. La date de ce tableau est une indication importante : 1848. Les temps ont radicalement changé. C’est l’année au cours de laquelle des événements fondateurs se sont produits, depuis les trois journées révolutionnaires de février conduisant au renversement de la monarchie de Juillet et à l’abdication de Louis Philippe jusqu’à l’élection de Louis Napoléon Bonaparte, le 10 décembre. Il est clair que les deux peintres ne pouvaient aborder le sujet de la même manière. Quand on parle de L’Assassinat d’Henri de Lorraine, duc de Guise, n’est-ce pas immédiatement à cet autre tableau de Paul Delaroche auquel on pense ? Le lieu, les costumes, l’ameublement, Delaroche reconstitue la scène, avec précision, la baigne d’une lumière blafarde, nous introduit dans la pièce du château de Blois quelques instants après le meurtre survenu en 1588.  

La majorité des peintres qui déplient sous nos yeux cette vingtaine de siècles appartiennent au XIXème siècle, époque où l’art est au confluent de plusieurs courants qui se croisent et s’irriguent, entre le retour à l’antique, le réalisme, le romantisme. Ces « tableaux retentissants » sont pour autant empreints de beaucoup d’humanité. Comme le signalait Henri Focillon, si le XVIème siècle a été humaniste et le XVIIIème philosophique, le XIXème est le siècle de l’artiste. Il lui revient de créer ce nouveau langage, moins subjectif peut-être qu’auparavant, plus social ou en tous cas proche des gens. A côté des talents proprement artistiques, la connaissance de l’histoire prend toute sa place pour garantir davantage de probité. Charles-Gustave Housez, qui fut professeur mais n’obtint pas le prix de Rome, rend compte avec une grande maîtrise de l’espace de l’instant dramatique où Henri IV vient de recevoir les coups de Ravaillac et où celui-ci est arrêté par l’escorte royale. La disposition rassemble dans un cadrage serré de diagonales l’agitation de la rue, les cris des passants surpris, le monarque expirant, l’effroi des deux ducs qui voyagent avec lui dans la voiture.

Une centaine de tableaux signés par soixante artistes célèbres ou moins connus, voire inconnus, compose cette fresque qui dévide le fil de l’histoire de la France. En face des dates essentielles choisies, les auteurs ont mis l’œuvre qui les explicite, les calque dans ses détails, leur donne ce souffle et ce cachet d’authenticité relative de l’image, à la fois fidèle et éloignée de la réalité, objective et partiale. L’histoire est désormais enseignée selon des critères différents de ceux qui valaient jusqu’à récemment. Il n’empêche que l’on apprend beaucoup à travers ce regard des peintres, désireux de transmettre par la beauté l’histoire nationale. Toutes ces peintures permettent de relier entre eux les faits qui sont notre héritage commun. Les détails des tableaux et les explications données sont utiles pour bien comprendre les œuvres et leur portée. Si ainsi que le rappellent les auteurs, Clovis, Gambetta et Clemenceau, parmi d’autres grandes figures, « ont disparu des instructions officielles », raison de plus pour que ce genre d’ouvrage rétablisse le savoir historique dans sa continuité.

 

Dominique Vergnon

 

Dimitri Casali, Christophe Beyeler, L’histoire de France vue par les peintres,  Beaux livres Flammarion, 320 pages, 23x28 cm, 100 illustrations couleurs, cinquante doubles pages de détails, septembre 2012, 35 euros

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