Barbara Lecompte peint Thermidor

Tyran ivre de sang, faux prophète, génie obtus pour ses ennemis, homme incorruptible et injustement calomnié pour ses partisans, Robespierre est un de ces personnages de l’histoire qui suscite toujours d’âpres discussions. « Un fanatique » disait de lui Napoléon, mais « incapable de vengeance, désintéressé, enthousiaste ». Ses débuts politiques ne furent guère brillants. A son époque déjà, en des termes plaisants mais significatifs, la presse parlait de « la chandelle d’Arras » en le comparant au bouillant Mirabeau, « la torche de Provence ». Pour Thiers, il était intègre et fort de ses convictions. Il ajoutait, portant encore cela à son crédit : « Il faut une bonne réputation pour captiver les masses ». Mais ce même Thiers dira aussi, au moment de la chute de l’avocat (né en 1758 et guillotiné le 28 juillet 1794 à Paris), qu’il fallait cette « heureuse catastrophe [pour terminer] la marche ascendante de la Révolution ». Comme d’autres révolutionnaires autour de lui, croyait-il, ce Maximilien qui « serre machinalement les dents pour empêcher sa main de trembler » au moment où il va se tirer une balle de pistolet, que la Terreur pouvait sauver la France ? Notons en passant qu’Ernest Hamel, historien, avocat et son biographe, estime dans son Histoire de Robespierre de 1867, après consultation des papiers de famille, totalement improbable la thèse du suicide ; cf infra).

 

Après nous avoir séduits avec ses Tableaux d’Empire, l’auteur nous invite à vivre les heures chaudes de l’année 1794, quand elles résonnent de tant de bruits divers qui sont comme les échos des événements traversant les pages et qu’elle enregistre en toile de fond avec beaucoup de finesse : le timbre mat de la lame de l’échafaud qui tombe sur une  nuque, les battements de cœur que David écoute en lui, les cris étouffés de douleur de Robespierre pendant l’opération de sa mâchoire, les chants patriotiques qu’entend La Fayette, le grondement des pierres de la Bastille qui croulent sous le choc des marteaux, les rumeurs de la foule indocile, les conciliabules des prisonniers à Sainte-Pélagie. Elle convoque dans ce théâtre où l’histoire change de camp, trois personnages qui en sont acteur, observateur, victime : Robespierre jusqu’à la guillotine, David et « son âme noire » qui de la peur passe au soulagement, Robert qui dans sa prison rêve à ses ruines et à Anne-Gabrielle. Elle intercale les trois portraits, nous fait ressentir les émotions de chacun, leurs souffrances, leurs doutes, leurs espoirs, en les détaillant avec délicatesse et persuasion, les écoutant avec son intuition. Ce tissage habile relance de chapitre en chapitre l’intérêt de la lecture et ces trois instants de vies mêlées et suspendues au déroulement du drame lui assurent sa véracité. Nous vivons comme des témoins privilégiés Thermidor, le onzième mois du calendrier républicain créé par Fabre d’Eglantine, dont les noms poétiques évoquent l’enchaînement des saisons ou la vie rurale  et restent synonymes des exécutions sanglantes du 10.

 

Entre un homme désormais honni, abhorré, dont la tête est présentée au peuple, un peintre dont le caractère orgueilleux et veule étonne quand on le sait auteur du Serment des Horaces (1785), un artiste sensible, courageux qui travaille en dépit de tout à ses sanguines, l’épisode révolutionnaire est ainsi rendu sous le jour humain, quotidien, authentique, au-delà du cadre dramatique, que l’on aurait tendance à oublier.

 

Avec ce style alerte qui est le sien, ces mots nets qui tranchent quand il le faut les phrases de plus long développement, ce livre se lit avec plaisir. Barbara Lecompte construit ses descriptions en historienne passionnée d’art avec une plume qui glisse sur la page comme un artiste passe son pinceau. Elles annoncent d’ailleurs ces  admirables œuvres de Jacques-Louis David et Hubert Robert qui illustrent à la fin son ouvrage. Cette Distribution de lait aux prisonniers à Saint-Lazare, huile sur toile de 1794, Robert ne l’a-t-il pas vue de ses yeux ? Quant à ce poignant croquis de Marie-Antoinette conduite à la guillotine, plume et encre brune signée de David, ce dernier se fait également le rapporteur indubitable du passage d’une reine restant dans sa déchéance. On regrette certains termes répétés, usés ou anachroniques qui enlèvent un peu de son  rythme à cette écriture si bien enlevée par ailleurs, comme « se défouler », « glacé » (le « canon glacé » de l’arme - à cette saison ? froid ne suffirait-il pas ?), « lenteur de limace », « palette du ciel ». De même, la même phrase se lit-elle deux fois (page 35). Mais ce sont-là des remarques mineures, ne privant en rien le texte de ses qualités et de son originalité.

 

Dominique Vergnon

«  Le doute ne saurait être cependant un seul instant permis. Pourquoi d'abord Robespierre aurait-il eu l'idée de recourir a ce moyen extrême quand tout paraissait sourire à sa cause, et que, tardivement, il s'était décidé à en appeler lui-même au peuple des décrets de la Convention? Il aurait au moins fallu, pour le porter à cet acte de désespoir, que l'irruption de la horde conventionnelle eût précédé le coup de pistolet de Merda, et nous avons vu par un document entièrement inédit et tout à fait désintéressé (le rapport des employés au secrétariat) que c'était tout le contraire qui avait eu lieu. Le simple examen de la blessure suffit d'ailleurs pour détruire tout à fait l'hypothèse du suicide. En effet, le projectile, dirigé de haut en bas, avait déchiré la joue à un pouce environ de la commissure des lèvres, et, pénétrant de gauche à droite, il avait brisé une partie de la mâchoire inférieure (1). Or, peut-on imaginer un homme qui, voulant se tuer, se tirerait un coup de pistolet de gauche a droite et de haut en bas? C'est tout simplement impossible ; tandis qu'au contraire le coup s'explique tout naturellement par la position de l'assassin tirant debout sur Maximilien assis et présentant son profil gauche ».

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.