Frémon vs Plensa : Dialogue avec le silence
Plensa n’en est pas à son coup d’essai. Frémon rappelle combien l’artiste est le plus littéraire des artistes du temps. Mais avec lui la littérature est saisie « au pied de la lettre » et dans son "hémorragie" première. Les lettres qui pourraient agencer des mots ne sont que tripes sorties du ventre. Frémon donne donc un sens à des lettres qui ont perdu leurs tribus. Il fouille leur vase pour en exhumer des pousses nouvelles là où l’hybridation silhouettes et alphabets permet l’invention d’une figuration fascinante et étrange. Les insomniaques rêveurs plus ou moins vides ou cassés forment un théâtre tragique hors contextualisation culturellement fléchée. Mais ils portent au paroxysme un vide et une fulguration.
La facture d’équilibre de telles œuvres est irritante puisqu’elle s’érige au service d’un déséquilibre entre les lettres privées de sens et les êtres. La vie est là mais la mort aussi le tout dans une plastique pertinente empreinte de gravité ludique. Comme un Rabelais l’artiste offre ici ses propres « paroles gelées ». Il ne s'agit pas d'arracher l’être à son piétinement mais de souligner ce dernier à travers la réduction progressive du champ de la communication. Les sculptures font alors ce que les mots ne font pas. L’œuvre jouent à la fois sur la fermeture d’un champ lexical devenu fou et sur l’ouverture de l’espace. Frémon le prouve par sa poésie qui prend à l’improviste Plensa : elle devient d’avant le lettre. C’est la mémoire du non-dit, elle décrypte les mots possibles du plasticien à travers ses lettres perdues inspirateurs d’un désastre à venir ou d’un nouveau premier poème.
Jean-Paul Gavard-Perret
Jean Frémon, «Lilliput » (de Jaume Plensa), Galerie Lelong, Paris, 2013, 56 pages, 15 €
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