Le modèle et le photographe selon Jean-Claude Bélégou

Reprenant un travail de portraits entamé avec les séries "Visages" et "Erres" (années 1990) et le croisant avec une autre série des années 1980, "Corps à corps" où il s'interrogeait sur la relation au modèle, Jean-Claude Bélégou aborde avec sa nouvelle exposition une réflexion sur les fondements de l'histoire non seulement de la photographie mais de la tradition picturale. Mais le travail de l'artiste "tire" le problème moins du côté de l'imitation (portrait psychologique ou social) que du côté de la création. La femme - sujet plus qu'objet - reste l'élément majeur de la fascination et parfois d'un certain tragique. Le nu agit ici de manière particulière : il peut agir dans certaines prises comme "repoussoir" au sein même de la fascination qu'il opère Dans son abandon la femme pousse le photographe vers les plus extrêmes conséquences en un face à face obsédant et existentiel qui n'est pas seulement cathartique.

 

Depuis toujours la femme fascine l'artiste mais la montrer n'est pas seulement un moyen de traiter la nudité en une sorte traité de "philosophie dans le boudoir". Dès lors Bélégou pourrait faire sienne la phrase de Sade : "Aucune action quelque singulière que vous puissiez la supposer est vraiment criminelle ou vertueuse. Les vertus d'un autre hémisphère pourraient bien être des crimes pour nous".  C'est pourquoi Bélégou, loin de tout moralisme, fait de son esthétique quelque chose d'éminemment existentiel. Ses modèles ne sont pas de simples modèles. Leur apport est le fruit d'une transaction gagnant-gagnant dont l'enjeu est fixé par les deux parties en présence.

 

Rien de plus "naturel" donc que la sophistication, la mise en scène des œuvres d'un artiste pour lequel le modèle pictural n'est jamais projeté sur ses prises mais contenu dans son esprit. L'activité mimétique du photographe capte dans la femme non seulement qui elle est mais ce qu'elle induit d'humanité mise à nu - à tous les sens du terme. La vie passe intégralement de la réalité à l'art, du modèle à la photographie en un transfert accompli. La possible victimisation du modèle est ainsi retournée. Chez le photographe l'œuvre ne barre pas la route à l'autre : elle l'ouvre au contraire en évacuant ou en soulignant bien des équivoques.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Jean-Claude Bélégou, "Etudes / Humanités", Galerie Pierre Brullé, Rue de Tournon, 75006 Paris, jusqu'au 9 novembre 2013.

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