Marc Pessin : "si tu veux voir écoute"


Il y a dans les gravures de Marc Pessin quelles qu’en soient la densité d’encre et de pression  un vœu de transparence, une secrète dimension d’éternité. Elle rend pathétique toute tentative de représenter le réel ou d’en rendre compte par une image ressemblante. Le geste de création qui enflamme la matrice vierge imprime du même coup la trace terrible d’une absence puisque par essence le travail du graveur retire, écarte la matière pour produire un creux. C’est pourquoi Marc Pessin n’a jamais cessé son travail de patience et d’approfondir le sillon jusqu’à la nuit.

 

A défaut de connaître la paix il rencontre à des moments de fouille un éclat, comme un nerf dur devenu trace contre la vitesse du temps. S’exprimes « objectivement » un  sentiment à l’unisson des grands rythmes telluriques qui nous dépassent.Le monde proche est le plus lointain. Le plus éloigné est dans la proximité. La sidération naît de ce hiatus, de cette cavité. Nous en sommes les témoins, les otages au moment où le créateur  projette de l’autre côté du réel sans pourtant  nous décoller du socle terrestre.

 

Nous sommes confondus, éblouis devant ce spectacle de la mort, de la vie. S’y éprouve une nudité particulière. Ou plutôt le total dépouillement jusqu’à l’abandon et l’acceptation dans la fusion du  monde avec l’indicible. Les gravures sont donc des états de vision. Et ce dans une visée paradoxale : atteindre d’abord pour s’approcher ensuite. Voilà l’unique moyen afin qu’elles déplient le réel sans jamais s’y soumettre. Elles portent en elles les signes de la défaillance de la matière comme sa sublimation. D’où le vertige des lignes. Il nous ramène au nôtre sans crainte de la chute.

 

Pression, décompression. Le réel est écrasé jusqu’à la pure déception sans qu’un seul instant cette disgrâce ne puisse corrompre l’éclat de la lumière. Au contraire elle l’éternise sans sombrer. N’est-ce pas là, toujours, un moyen de s’éloigner de la catastrophe ? N’est-ce pas là fixer des moments d’alerte et d’accomplissement ? L’œuvre devient la matière sonore courbant dans le même souffle le silence et le cri de canaux ruisselants. Jaspes, grèves, abîmes sur la blancheur immaculée et sans pardon.

 

La gravure tournée vers l’infini et contre le silence étend son corps apatride. L’absence est  son contraire.  Barrage face au mutisme glacé. En panne d’horizon, la clarté remonte par pression. Elle est égale au feu dormant que la gravure sculpte en creux. L’encre coule dans le plein empire d’un foyer souterrain. Il suffit de recevoir les gravures sans comprendre où en elles le monde s’élucide. Sinon à cette source où il semble se démettre pour –espérons-le – recommencer en mieux.

 

j-paul gavard-perret

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.