Les parties communes de Sophie Ebrard

Depuis toujours Sophie Ebrard aime et prend des images. Cela lui ouvrit les portes de la publicité où elle travaille pour des campagnes importantes (Vodafone, Adidas) et qui lui assurent une aisance financière. Mais elle se concentre aussi sur sa propre création en passant de la photographie au cinéma et à la vidéo. Elle fait preuve d’un don  rare pour les lignes, la lumière solaire  et les angles de prise de vue. Cette technique quasi naturelle  lui permet de saisir ce que beaucoup ne voit pas. Honnête, sensuelle animée d’une empathie pour ses sujets son travail lie intelligence, humour et gravité. Londres est devenue sa ville. Elle en aime la lumière ce qui ne l’empêche pas pour ses nouveaux projets de nombreux déplacements en Californie.


Depuis quelques temps et dans une logique très personnelle Sophie Ebrard renverse sur eux-mêmes le propos et l’approche du film pornographique. L’acte de création vient mettre à mal les lois de représentation inhérentes au genre. Tout se joue en une poésie d'image. A savoir une beauté et non une fantasmagorie propre à alimenter le pur fantasme. Le film pornographique, son équipe et son back-ground ne sont plus considérés comme un objet mais comme un processus. Les corps sortent de l’état de machines (désirantes ou non) pour devenir des images que Kleiman nommerait des "urphaenomen" : une forme de beauté fluide qui résiste à toute cristallisation.


Le film pornographique et son tournage deviennent à ce titre un index au développement de l’imaginaire et de la réflexion. Là où normalement l’image s'affaisse dans le stéréotype (toujours décliné selon les mêmes  modalités d’un film à l’autre) la créatrice propose le démantèlement du discours pornographique. Ses «parties communes » s’inscrivent en faux contre le propos avoué de tels films. Le visible est affecté d'un « trouble » de la vue qui renvoie au trouble de la pensée en un cérémonial hallucinatoire, ludique et critique. Le spectateur ne souffre plus de la frustration de n’être que voyeur : il voit autre chose. Quelque chose de mieux que ce qu’il était venu chercher  et qu’il croit désirer.


Filmer revient à affirmer la possibilité de la présence d’une ouverture contre la fermeture que tout film pornographique érige en loi. Le regardeur sortir de son enfance, d'un état d'assujettissement. Sophie Ebrard ne redouble plus le ressemblance. Transparaît une perception étrangère sans forcément de reliquat identitaire. Le sexe n’est plus réduit à sa seule défroque. A la nudité affichée répond une autre nudité. L’off est là pour la souligner.  Il se  manifeste en un cadre le plus abstrait possible et par une volonté du déchirement de tout ce qui gâche l'espace.  L’image devient purement matière optique dans laquelle un comique de situation peut émerger. Il renvoie le spectateur à un espace désaffecté.


Subtile technicienne la créatrice sait traiter l’image avec une précision extrême. Elle renverse les règles - non seulement du film X mais du film de « reportage » - afin de proposer une expérience des limites du corps par une intensité rare là où pourtant tout semblait être (déjà) dénudé. La créatrice touche au fond du visible au sein d’une économie sémantique et stylistique. La seule féerie proposée est une féerie glacée. Mais belle. Il s'agit  de faire toucher à un manque, à une absence sans jamais proposer les frivolités d’exercices de style. L’imaginaire ne ravit plus par le charme mais ravit par la beauté en évitant la frénésie du spectaculaire, de la surenchère de la « sur en chair » par une  fiction de la fiction.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

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