Jean Rustin : au repoussoir des corps
Il y a du Goya chez Rustin tant sa manière de reprendre les images des Vanités si fréquentes au XVIIe régénère (si l’on peut dire) leurs accents douloureux. On se souvient par exemple de sa « Femme assise sur le lit ». Mais à mesure qu’il avance, l’ambiance se fait encore plus sombre. Finis désormais la truculence des sujets, le luxe des postures (même s’il s’agissait toujours de montrer un affaissement). Portraits en pieds ou éléments du corps en gros plan fixe des angoisses fondamentales. Chaque toile devient un radeau qui flotte sur des eaux profondes du temps. Le ténébreux, la détresse attirent et repoussent le regard même si la peinture débride une sorte de sensualité paradoxale et un érotisme plus dérisoire que séduisant.
Rustin atteint une autonomie particulière dans la peinture du temps. Sans effets de mise en scène, sans aucun attrape-nigaud inhérent à la figuration et plus particulièrement aux « vanités » le peintre dévoile ce qu’il y a de plus secret dans l’être : son flot obscur auquel répond celui d’une mise en acte d’un sombre désir, d’une attente sans fonds. La peinture les dérègle en déclenchant une horreur qui ne s’épuise pas dans l’instantané de l’émotivité. Emerge l’invraisemblable de la vraisemblance de qui nous devenons. Rustin nous expose donc tels que nous serons. Il est le plus austère des faiseurs de cauchemars là où la beauté rejoint la laideur.
Jean-Paul Gavard-Perret
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