Leo Dorfner : Pillow Book
Leo Dorfner laisse rarement les corps indemnes – même si parfois ses photographies « nues » restent d’une beauté saisissante. Néanmoins le plus souvent l’artiste reprend les images historiques de l’art du nu (sacré ou nom) pour les tatouer d’un imprimatur postmoderne. Inspirés par le genre l’image le corps est affublé d’incipits à l’érotisme primesautier ou à intention plus sérieuse. Il ne s’agit plus de montrer dans cette production « du » sexe. Culs ou seins sculptés perdent leur air doux et moelleux. Exit les melons de Cavaillon physiques. Greffés de mots les « nudistes » (ou les nudités) prouvent que « Le plus profond en l’homme c’est la peau » ( Paul Valéry).
Reprenant l’idée de Peter Greenaway (lui-même inspiré d’un texte de Sei Shônagon, courtisane de l’Impératrice nippone Sadako au XIème siècle) le rapport du corps et de la lettre permet ici un mariage obsédant et surtout un changement de paradigme. Le corps est « bronzé » des mots qui le réincarnent. Dès lors le spectateur peut prendre conscience de la vacuité de l’éros en des contrastes qui rappellent d’une certaine manière les torsions de Nina Childress. De telles œuvres provoquent un effet oscillant entre l’attendrissant et le grinçant, le cucul-la-praline et l’iconoclastie. Le corps sort de ses stéréotypes historiques. La peau tatouée confère à son propriétaire un punctum. Il déplace le regard du corps comme objet de fantasme vers un ossement littéraire. Bref la plastique sort de son image et se met à raconter pas mal d’autres histoires. Preuve que l’on ne naît pas objet de désir : on le devient. Ce devenir l’artiste à sa manière le biffe. Du moins le plus souvent.
Jean-Paul Gavard-Perret
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