Juliette Mogenet : nouvelle vision du paysage


 

Juliette Mogenet refuse à la photographie un statut d’archive ou de reproduction du paysage. Elle déconstruit et reconstruit celui-ci : à l’homogénéité fait place l’éclatement. Elle s’inscrit dans la ligne émise par Greenaway dans  « Meurtre dans un jardin anglais ». Le peintre paysagiste y symbolise un ordre et participe d’une  image de marque. Dans ce film, Mrs Herbert souhaite offrir à son mari douze dessins reproduisant des vues de la demeure et du jardin pour tenter de rassurer son mari quant à son autorité sur la propriété. Et Neville (peintre plus paysager que paysagiste) se vante de ne pas seulement « représenter », mais bien plutôt de « reproduire » objectivement  ce qui est, tout ce qui est, rien que ce qui est. 

 

Juliette Mogenet casse un tel art « pictural » puisque la  reproduction tend à nier le regard. La réalité est insaisissable « objectivement » dès que se pose la question du sens de ce qu’on voit, c’est à dire de l’interprétation. Tout regard est regard « sur » : la jeune artiste le prouve. A l'évidence fait place « l’évidemment évidemment » (G. Didi-Huberman). Profondeur et  surface  créent un abîme.  

 

Du  paysage ne demeure que des fragments, des indices. Ils complexifient l’apparence au profit de traces, de morceaux et de signes. Ces énoncés transgressifs ramènent à la question essentielle : « qu’est-ce que le réel ? »  La vision héritée de la Renaissance est renversée par l’incision, la découpe, le pli. L’architecture du  réel est revisitée par la force de l’Imaginaire. Du sombre naissent une lumière sourde  et un paysage mental. Se traverse la « nature » pour atteindre des lieux à la fois proches et lointains. Le réaliste se mêle à la fantasmagorie par hybridations. Elles cassent les frustrations. Peuvent surgir  des phosphorescences mystérieuses où sur les ruines du réel se redessine une architecture admirable.

 

Juliette Mogenet propose la possibilité d’atteindre des environnements sensoriels inédits à travers des mises en scène. Le paysage prend une valeur hypnotique. Il agit sur la perception sans emprunter le détour de la symbolisation. L’artiste préfère jouer d’une « monumentation » particulière entre le flou et le précis, l’indice et la fragmentation selon une dynamique « avènementielle » loin de ce que la peinture et la photographie « classiques » ont proposé.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

 

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