Gwezenneg le naufrageur

                   

 

Gwezenneg, « Œuvres 1958-2012 », Editions Isoète, Cherbourg, 318 pages, 49 Euros, 2013.

L’artiste breton “ exilé ” dans le bocage marin de La Hague suggère combien il faut aller chercher chaque fois un peu plus loin l’image. Elle ne se contente plus d’être le territoire de l’illusion sur laquelle du leurre vient se poser.  Elle en devient le tombeau et n’est pas sans rappeler (paradoxalement) les gravures sur bois colorié des anonymes allemands du XVème siècle (Plaie du Christ et Croix du Christ par exemple).  Néanmoins l’objectif de Gwezenneg est bien différent : il “ charge” ses toiles et ses sculptures de reliques inattendues pour les faire passer aux aveux de la vie à travers la mort. Les ossements, les rats ou les caméléons séchés “ jouent ” dans des ensembles où la surface n’est plus plate ni tendue (ou de manière paradoxale comme dans “ hommage à François de Terre-Neuvas ” dont le pantalon “ sèche ” à la manière d’un Christ en croix). En dépit de cet  aspect détritique,  un tel arsenal enfonce ou soulève la surface afin de l’ouvrir à une autre dimension plus complexe. Elle n’est pas sans rappeler (mais de manière plus ordonnée) le Rauschenberg des collages et des assemblages des “ Combine Paintings ”. 

 

Au sein de la matière le support ne se contente pas d’exhiber des équivalences figurales. Travaillant divers éléments Gwezenneg fait surgit une autre spatialité en un ensemble de parties convexes (utérus, creux) et convexe (coeur vulnéré). Il renvoie l’art à la consistance d’un organe plein à travers les matières qui le constituent. S’incarne la “ corporéité ” où la matière travaille la réversion figurale. Le support (bois) devient un lieu “ morphogénétique ” sous la forme de totems ou de croix. Mais les symboles s’échappent à leur valeur classique de gloire céleste.  Contre l’effet de pans surgit  un espace hérétique dans laquelle la matière-support est l’objet de liturgie païenne. Elle exalte la vie au sein d’une danse macabre. C’est le moyen d’extraire du regard  tout effet de dévotion en un univers nocturne et enflammé.

Jean-Paul Gavard-Perret

 

 

 

 

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.