Harmonies intérieures en Hollande

Entrer dans les demeures, c’est aussi entrer dans l’intérieur des actes et des pensées. Le regard s’invite dans un espace privé, surprend des attitudes, entend de la musique, assiste à la visite du médecin, perçoit des confidences, salue l’érudition. Chaque tableau est l’occasion de participer à ces moments souvent ténus de la vie quotidienne d’une société qui a ses secrets, ses privilèges, ses travaux et ses distractions, ses affections comme ses réserves. Dans cette somptueuse galerie de pièces, les enfants coudoient les savants, qu’ils soient astronomes ou géographes, la femme hydropique côtoie la femme rayonnante de vigueur. Les gestes sont coutumiers, délicats quand il s’agit de peser l’or, experts pour verser le lait, rapides à manier les fuseaux de la dentelle, attentifs quand la main donne la potion, véloces sur les touches du virginal. Pas ou peu de lumière extérieure, elle est venue ou plutôt filtrée par les fenêtres, voire une porte ouverte, diffusée par une bougie quand l’étude se poursuit la nuit ou lorsqu’il s’agit de taquineries. Les rideaux, le mobilier astiqué, le dallage introduisent l’invité de marque que le visiteur devient devant cette galerie de tableaux. Quelques miroirs renvoient les reflets des visages. Réunies, ordonnées selon quelques thèmes bien choisis, ces peintures dites de genre disent tout de ces Pays-Bas, alors florissants, au point que la période constitue un âge d’or en soi. Une trentaine d’années de prospérité, commerciale, politique, artistique.

 

Un nom domine. Johannes Vermeer ! De Delft. Il est, bien sûr, l’auteur, mort jeune, de la célèbre vue de sa ville natale et de La jeune fille à la perle, insigne portrait de la beauté et de l’innocence, exécuté vers 1655. Autour de ce nom si célèbre - à lui seul il suffit pour donner toute la dimension de cette brillante période de la peinture hollandaise - en gravitent d’autres, à l’évidence moins connus mais qui méritent autant l’intérêt car le sien ne doit pas les éclipser, même s’il survole tout, par cette délicatesse distillée qui fait d’un moment d’une existence une espèce d’histoire universelle, spiritualisée par son regard. Citons par exemple Gerard ter Borch, Frans van Mieris, Gerard Dou, Gabriel Metsu, Pieter de Hooch, Caspar Netscher. Ces peintres effacés par l’aura de Vermeer possèdent tous un merveilleux talent de narrateur. Ils étudient cette société policée, raffinée, sérieuse mais sachant rire, observateur régulier de la vie domestique et des comportements bourgeois. Il convient de regarder isolément leurs œuvres, une à une, pour en déceler les qualités propres, les innovations, la sensibilité. Sous leurs pinceaux, le quotidien est un peu plus qu’une suite d’heures qui passent. Les faits qu’ils considèrent et relatent se transforment en instants précieux. Les sentiments, la psychologie, les échanges sont tissés de vérité. Eclats et somptuosités des étoffes en velours ou en satin, patine des meubles et des fauteuils, douceur des tapis, leurs touches savent rendre les textures, les plis, la valeur des ustensiles ordinaires. C’est la rencontre des élites, de ceux qui commandent et achètent avec ceux qui produisent et vendent. On est à tous niveaux entre amateurs érudits. Il semble que le salon où l’on reçoit soit aussi accueillant que la pièce où l’on coud. La culture s’insinue partout.

 

Le grand plaisir que l’on éprouve à s’arrêter longuement devant ces peintures vient des détails qui sont autant d’appel à capter l’attention, à inventer une histoire, à centrer l’essentiel sur ce qui apparaîtrait comme secondaire. Les simples objets sont parfois haussés au niveau de premier sujet du tableau, que ce soit la lettre, le luth, l’huitre, le pichet d’étain, le perroquet.

 

Comme les croisements sont nombreux, il est particulièrement intéressant de repérer les connivences et les divergences, de voir comment les inspirations se retrouvent, les influences se renvoient, les idées se reprennent. On comprend mieux « avec quelle rapidité les peintres réagissaient aux travaux de leurs confrères ». Entre eux, il existe un réseau d’échanges qui se structure sur les amitiés et les rivalités. Ainsi il est acquis que Vermeer, pour une de ses plus délicates œuvres, La Laitière, a puisé dans le registre de la peinture leydoise, mais il en fait une relecture tellement éblouissante qu’elle est en soi profondément originale. Chacun enquête chez l’autre, discrètement, s’en inspire, utilise un vocabulaire pictural qui a ses codes, cache ses emprunts. Ce sont ces rapprochements que met subtilement en valeur cette superbe exposition. La réunion d’autant de tableaux de Vermeer est un événement rare et dont il faut profiter. Voir les œuvres de ceux qui lui font un cortège ajoute au bonheur. Pour ceux qui aiment la peinture de genre,  on est au « sommet de l’art occidental ». Le magnifique ouvrage qui l’accompagne permet d’en garder la mémoire et d’en comprendre la valeur artistique et même scientifique.

 

Dominique Vergnon

 

Adriaan E. Waiboer, Blaise  Ducos, Arthur K. Wheelock, Jr., Vermeer et les maîtres de la peinture de genre, Somogy éditions d’art - Louvre éditions, 448 pages, 300 illustrations, 24x30 cm, février 2017, 39 euros.


www.louvre.fr; jusqu’au 22 mai 2017

 

 

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