Versailles, la renaissance autrement

Un mot dans le bref titre de cet ouvrage, qui est aussi celui de l’exposition actuellement cours dans les salles d’Afrique et de Crimée du château, peut surprendre. Revival ? Est-il approprié au moment où la défense du français face à la domination croissante de l’anglais est à nouveau à l’ordre du jour ? On s’interroge.
Preuve en est que dans son mot d’accueil liminaire, Catherine Pégard en explique le sens. On comprend alors les raisons de son usage. Dans l’introduction de l’ouvrage, Laurent Salomé, l’un des deux auteurs de ce magnifique livre, également commissaire de l’exposition, justifie son emploi. Il rappelle que le terme revival, qui additionne à lui seul les idées de regain, relance, renouveau, voire résurrection, fait partie de la langue française. Dont acte.
Laissons-là la question du terme pour suivre l’auteur dans cette proposition très originale, qui invite à voir Versailles autrement et remonter son histoire, dans une multiplicité d’éclairages et un foisonnement de documents absolument remarquables et sans précédents. Vastes comme les allées du parc, lumineuses ici et ombragées là, les perspectives s’ouvrent devant le regard du lecteur.    

En refermant ce livre, on a le sentiment d’avoir découvert une époque où régnait une éducation universelle et d’avoir parcouru ces années en compagnie de guides qui l’animaient, au sens premier du mot, c’est-à-dire donnaient à ce palais relégué loin du Paris une nouvelle âme. Une belle compagnie d’écrivains, de poètes, de musiciens, de peintres, de grandes dames et de comédiennes, de diplomates et de souverains. La magnificence jusque dans les détails. Ainsi, quand George VI, roi d’Angleterre, est reçu le 21  juillet 1938, on servit dans la galerie des Glaces du champagne Pommery millésimé 1895, année de sa naissance.
Pour sa part, Louis II de Bavière trouve dans l’architecture et les arts décoratifs une source d’inspiration pour ses demeures de Neuschwanstein et de Linderhof. Il ne sera pas présent lors de la proclamation de Guillaume 1er le 18 janvier 1871 dans la galerie des Glaces. Le peintre allemand Georg Bleibtreu laisse de ce jour de revanche un tableau très descriptif de la liesse des militaires. Retour implacable des événements, ultime affront, le drapeau prussien sera hissé au-dessus du château.

De Marcel Proust à Henri de Régnier et Maurice Barrès, de la comtesse Elisabeth Greffulhe à Julia Bartet et Sarah Bernhardt qui joue lors de la visite du tsar Nicolas II en 1896, de Pierre Puvis de Chavannes à Henri Le Sidaner et Georges Rouault, sans oublier Gabriel Fauré et Reynaldo Hahn, Edward Steichen et Constantin Brancusi, les cicérones ne manquent pas. 
Chacun ouvre une page, lui donne ses lettres de noblesse, ses notes romantiques, son esprit parfois moqueur, parfois révérencieux. Henri et Achille Duchêne, en dignes émules de Le Nôtre, nous emmènent dans les jardins. Un artiste, Alexandre Benois, originaire de Saint-Pétersbourg, dans une série de tableaux porte un regard critique sur les promenades de Louis XIV. On ne manque pas de les rapprocher de ceux de Gaston La Touche, qui se situe dans un registre opposé !

Versailles n’est donc plus le lieu du triomphe d’un monarque et d’un épisode révolutionnaire, mais il devient sous le visage de la modernité qui fut celle des années du Second Empire, de la Belle Epoque, de la République, le centre obligé des fêtes, le site d’un enchantement permanent et exclusive, en gardant également au mot son côté anglais. Le revival est là, c’est un retour en grâce, une séduction retrouvée, une agitation amoureuse, une grande convocation de fantômes qui pendant plus d’un demi-siècle, de l’Orangerie au Grand-Canal, autour des bassins de Latone et de Neptune, fait de Versailles, le cœur battant de l’effervescence culturelle et politique française.
Dans ce bain de grandeur les architectes comme les conservateurs et les fontainiers se côtoient, de même que les hommes politiques et les aristocrates. Les magnats américains viennent saluer et convoquer les ombres du passé, écoutant les dialogues par-dessus le temps entre Marie-Antoinette et l’impératrice Eugénie qui vénère la reine qui monta dignement les marches de l’échafaud. La traduction des mémoires de Madame Campan fut un best-seller en 1887.

 

A bord du paquebot France, le Versailles des mers… le château de l’Atlantique, dans le salon de conversation, les passagers peuvent admirer une copie du portrait en pied de Louis XIV par Rigaud. Le divertissement est le mot qui traduit cette passion pour Versailles. Les thés et les goûters élégants comme le montre une photo de juin 1901, les grandioses fêtes de nuit participent à cette alliance de poésie et de mystère dont parle Robert de Montesquiou qui songe à Venise. Les feux d’artifice éclairent l’espace nocturne. Le peintre Félix Courché exécute un tableau plein d’éclats flamboyants, de jets blancs et de flammes jaunes représentant l’embrasement du char d’Apollon.
Pendant des décennies, alors que la monarchie a cédé sa place à la République, tout se reconstitue autour du monument-symbole, tout oriente les rêveries, tout suscite les curiosités.
Marcel Proust écrira : Versailles, grand nom rouillé et doux, royal cimetière de feuillages, de vastes eaux et de marbres, lieu véritablement aristocratique et démoralisant, où ne nous trouble même pas le remords que la vie de tant d’ouvriers n’y ait servi qu’à affiner et qu’à élargir moins les joies d’un autre temps que les mélancolies du nôtre. Au-delà du roi Soleil, Versailles dépasse la durée en la transfigurant, devient une référence universelle, un modèle d’art de vivre, un lieu de fascination dont le rayonnement ne connaît pas d’éclipse.   

Dominique Vergnon

Laurent Salomé, Claire Bonnotte et al., Versailles revival, 1867-1937, 430 illustrations, 300 x 240, coédition Château de Versailles / In Fine éditions d'art, 448 pages, 49 euros

www.chateauversailles.fr; jusqu’au 15 mars 2020

 

 

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