Vasarely, unir la forme à la couleur

Qui ne savait à l’époque immédiatement les reconnaître, ces sphères qui semblent venir vers vous, ces lignes qui ondulent, ces carrés et ces losanges aux couleurs vives, un logo célèbre, des identités modernes partout reprises et visibles sur tous les supports possibles ? Et chacun de les trouver d’une esthétique à la fois surprenante, résolument nouvelle, inimitable, lassante. L’auteur de ces compositions mathématiquement ordonnées, de ce vocabulaire visuel qui donne l’impression en s’adressant à la rétine d’une instabilité programmée était Vasarely, de son vrai Victor Vasarhelyi, né en 1908 à Pécs en Hongrie. Il était alors et reste depuis lors le maître incontesté de l’art cinétique, c’est-à-dire l’art des œuvres qui se meuvent ou sont mues.
Elles jouent sur l’unité qui se multiplie, se déforme, entre en contraste avec le reste, se perçoit en creux ou en dôme. Autant abstraites parce qu’on ne sait pas dire de quoi il s’agit que concrètes parce qu’on peut distinguer ce que l’on veut, par exemple des cellules vivantes, des formes géométriques, des structures secrètes de la matière, des illusions savantes, quoique l’on en pense, elles interrogent toujours. On est devant le travail d’un ingénieur qui utilise la logique pour créer les plus belles illusions qui soient.
Porté par les ondes, je fuis en avant tantôt vers l’abîme, tantôt vers les galaxies, disait ce maître admiratif de la nature. Dans les galets, dans les morceaux de bouteilles brisées polis par le va et vient rythmé des vagues, je suis certain de reconnaître la géométrie interne de la nature, ajoutait ce bâtisseur de configurations où forme et couleur ne se séparent jamais.

 

On ne sait pas, ou on a oublié que Vasarely qui a été notablement influencé par le Bauhaus où se retrouvent Walter Gropius, Paul Klee ou encore Vassily Kandinsky, arrivé à Paris en 1930, débute par la publicité. Des messages où se partagent l’humour, la justesse du trait, la concision, des assemblages déjà novateurs, une perspective efficace, comme le montre cette affiche pour Air France, de 1946, où l’on voit un Super Constellation atterrir à Rio. Vasarely se lance ensuite dans une réflexion sur le réel, avec ses travaux aux noms fabuleux et codés, (Lom Lan Bathor, Bangor). Les images de ces zèbres qui entremêlent leurs encolures et leurs rayures constituent moins une prouesse qu’un questionnement sur l’union des contraires. On est dans les années du mouvement incroyable de l’Opt art, l’art optique, qui efface les frontières des volumes pour en créer d’autres. Cézanne n’est pas si loin, qui pensait que l’art est une harmonie parallèle à la nature.
Président de la Fondation Vasarely, petit-fils de Vasarely, Pierre Vasarely rappelle que son grand-père rêvait d’intégrer la beauté plastique à l’architecture et d’offrir un art social accessible au plus grand nombre. Le surréalisme ne sera pas sa voie ! Il va plus loin autrement.

 

En clair, Vasarely voulait agresser la rétine, la faire vibrer. La célèbre série des BI-KA (1974), VEGA-OKTA (1972-1974), OKTA-COR (1973), renvoie à ce cosmos qui fascine le plasticien, comme il se plaisait à se considérer, et livre à l’œil une véritable polychromie architecturale qui exige, pour que l’animation soit effective, des études méticuleuses, des calculs de diminutions des surfaces, des raisonnements complexes sur les angles et les dégradés des couleurs afin que le volume final respire, s’étende, se contracte, saisisse les sens et les déstabilise. Grandes étendues de centaines de fragmentations, de pixels savamment ordonnés, d’associations rigoureuses autant qu’aléatoires, de mutations dans l’instant du regard. Un labeur d’orfèvre.

C’est cette trajectoire vers le futur que relate l’exposition qui se tient dans cette élégante villa construite en 1925, appelée Way Side, dont le style anglo-normand rappelle qu’ici, depuis 1837, quand Alphonse Jean-Baptiste Daloz acquiert le domaine du Touquet, la région est unie à l’Angleterre. La villa est depuis devenue un musée, un lieu majeur du culture pour la ville. C’est du haut du phare de la Canche qu’on la voit le mieux, établie entre les dunes et la forêt. La  lumière ici est particulière. Elle attirera les peintres qui après 1870, et pendant une trentaine d’années, formeront une colonie d’artistes à Etaples, petite ville située à une dizaine de minutes, restée sous le nom des peintres de la Côte d’Opale.

Dominique Vergnon

Henry Périer (sous la direction de), Vasarely, de l’op-art au folklore planétaire, 85 illustrations, 300 x 250, Beta Editorial Barcelone, novembre 2020, 120 p.-, 25 euros

www.letouquet-musee.com

 

 

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