Petit éloge de l'écriture manuscrite

Pour moi qui, griffonnant d’aussi loin que je m’en souvienne, ne parviens pas même, toujours pas, à me relire un brin sur un seul petit feuillet manuscrit – sans parler d’une simple et banale liste de courses desquelles je ramène des noisettes ou bien des artichauts, par exemple, en guise de poivre en grain ou de fromage de chèvre –, en modernes et dignes successeurs associés de feue ma valeureuse petite machine à écrire portative ordinaire, le clavier et l’écran de l’ordi me sont aujourd’hui, à eux deux, une providentielle bouée de sauvetage dont, tout en écrivant, j’en loue ainsi, in situ, un peu chaque jour l’invention.

Mais n’empêche, quelle frustration je ressens et éprouve in petto à chaque fois que je pense – fantasmant alors illico – au miraculeux plaisir que ce doit être d’assister à une écriture coulant de soi sans efforts ni repentirs, comme l’eau d’une source, la voir tout de suite prendre sur l’écran révélateur de la page blanche une forme, certes, selon chacun plus ou moins harmonieuse, mais pour le moins déjà parfaitement intelligible aux yeux et à l’esprit du premier lecteur venu passant par là.
Plaisir en effet proprement stupéfiant, n’est-ce pas, que celui de voir sa propre écriture avant tout s’accorder et donner corps – cela de la façon la plus mystérieuse du monde ! – à ce qui, depuis à peine une fraction de seconde en amont, n’était pourtant encore qu’informations circulant en les labyrinthiques circuits et connexions de vos neurones ; pensée, idée, image, personnage ou tout autre, occupant ainsi votre esprit pour, trouvant leur plein développement dans l'accomplissement de l’écriture, viennent s’incarner à l’encre sous vos yeux, lisiblement mis à jour à mesure, sans entrave, ni pour soi ni pour les autres, dès lors que vous vous êtes mis à écrire.

De plus, rien à faire, et à moi donc la double peine, car j’envie non seulement celles et ceux qui écrivent bien, mais plus particulièrement et encore bien davantage celles et ceux qui, de surcroît, écrivent beau.
Aussi, quelles ardentes braises de pure jalousie me brûlent alors de l’intérieur quand je vois certaines personnes écrire de la sorte ; plume ou stylo en leur main s’y métamorphosant à n’y pas croire, et tout à fait incognito, en une petite mais cependant très puissante baguette magique qui leur permet donc comme par enchantement, cependant vrai de vrai, de véritablement calligraphier ou quasi dessiner de façon si caractéristique et personnalisée ce qu’ils ont à exprimer – bien plus que de simplement le mettre ou, comme on aime parfois trop brutalement le dire, le jeter noir sur blanc sur le papier.

André Lombard

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