Nine Antico : Elvis n’est plus ici

Nine Antico dessine depuis toujours "des gens, des robes, et des filles en robe", a longtemps mûri son art. Elle avait marqué les esprits lors de la parution de son premier album « Le Goût du paradis ». Après « Coney Island Baby » ce premier volet du triptyque (« Autel California ») « Treat Me Nice » signe l’accès à de nouveaux codes graphiques dans l’art de la B.D. L’artiste précise d’ailleurs : "Je n'ai pas été élevée dans l'amour de la BD. Chez nous, il y avait deux Astérix et trois Lucky Luke. C'est arrivé au fur et à mesure. Je croquais mes copines, les bêtises qu'on se racontait. Un jour, j'ai commencé à découper un dialogue et c'est venu tout doucement, comme ça". Prenant de plus en ^plus confiance en son art elle crée - après l'autofiction érotisé du « Goût du paradis » - un exercice plus ambitieux : la double biographie elle même doublement romancée. L’artiste s'atèle à raconter en des récits ( littéraire et graphique) les vies mises en parallèles de pin-up, d'actrices et jeunes écervelées. Le dessin  est tout en intensité incisive et délicate. En élégance. Les scènes ‘hot’ y gardent une espièglerie presque glacée.

 

C’est d’ailleurs là la marque de fabrique de Nine Antico. Elle cultive aussi une sorte de distanciation temporelle. Elle joue moins sur la nostalgie que l’appréhension critique dans une  construction elliptique à cheval entre les années 1950 et les années 1980.  Mais deux Amériques, deux systèmes de pensée, deux temps n'en forment qu'un seul. C’est pour l’artiste une manière de mettre en abîme - sans jamais s'éloigner de Page et Lovelace – l’American Dream et l’American Way of Live. Sous le rose bonbon :  le sordide. Le rouge cru n’est jamais loin. Tout devient cruel, pathétique  et ouvre des réflexions non seulement sur la condition féminine, mais sur rapport au corps, sur la transgression, l'émancipation, la liberté et l’enfermement fantasmatique (Ici avec Elvis). Entre légèreté et tragédie on apprend non seulement quoi rêvent les jeunes filles mais à quoi rêve l’Amérique et au delà la civilisation occidentale. Le fossé des époques est tout compte fait secondaire. Les rêves d’amour, de gloire et de beauté sont toujours aussi tenaces que dérisoires. Le dessin est là pour le prouver.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Nine Antico, « Treat Me Nice » (”Autel California” 1), Ed. L’Association, Paris.

 

Aucun commentaire pour ce contenu.