Bernhard Schlink, tous complices ?

Amusante polarité synchronisée avec le réel que la parution de ce roman qui rappelle que la mouvance nazie est prégnante, encore et toujours, dans l’est de l’Allemagne. Et lorsque l’on découvre la communauté völkisch on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec le documentaire de Paul Moreira, tourné en 2015 sur le Maïdan ukrainien et l’implication des groupes nazis. Cette idéologie nauséabonde d’un peuple pur, d’une race parfaite, d’une et une seule manière de penser, vivre, aborder le monde est tout bonnement délirante… mais ne sommes-nous pas complices de balayer ce détail sous le tapis en bêlant avec l’UE d’une même voix contre la Russie ? L’Histoire a toujours été plus compliquée qu’une simple problématique binaire.
Il en sera de même avec cette petite-fille, adolescente, que Kaspar découvre à la mort de sa femme, fille de la fille qu’elle a abandonnée à la naissance pour pouvoir fuir la RDA et le rejoindre. Sigrun baigne dans un univers hors-sol où la croix gammée est vénérée mais elle se découvre un amour immodéré pour la musique, s’investit dans le piano tout en refusant d’admettre la Shoah. Son grand-père se retrouve donc à devoir tenter de refaire toute son éducation en quelques semaines, lors de vacances scolaires, lui faisant découvrir Berlin, les musées, le cinéma, l’opéra… Quand j’écoute Bach, j’ai le sentiment que la musique contient tout, le léger et le lourd, le beau et le triste, et qu’il les réconcilie.
Mais comment réconcilier l’impossible ? Mon honneur a nom loyauté, mot d’ordre des SS, mais doit-on pour autant bannir cet adage sous prétexte qu’il fut sali par une bande de dégénérés ? La dérive que prend notre société rend compréhensif le repli de certains sur des valeurs passées, et les accointances avec la marge du politiquement correct s’autorisent des débordements. Une fois encore on nage dans le gris… Tout le monde rêve d’un monde nouveau mais personne ne s’accorde sur lequel ni comment y parvenir. Le monde n’est pas juste, comme le martèle la mère de Sigrun : Si c’était un monde des peuples et des familles, de la communauté, de la correction et du travail. Alors elle pourrait chercher sa place, et elle la trouverait parce que, dans le monde juste, chaque place serait juste. Or nous sommes dans le monde de l’individualité poussée à l’extrême, donc dans le monde de l’égoïsme bientôt contrôlé par l’IA. Et il n’est pas interdit de penser que la théorie du chaos ainsi exploitée par certains ne soit pas le simple fait du hasard de l’Histoire tant ces mêmes s’enrichissent à de tels niveaux que la manipulation des foules et donc des peuples semblent bien une réalité, et non une théorie du complot de plus… Et que les réactions hyper violentes servent les intérêts de la caste dominante, jouant les uns contre les autres pour maintenir un statu quo qui n'arrangent... qu'eux !
Bernhard Schlink nous ouvre cette porte sur une possible réflexion à mener avant de ne plus pouvoir revenir en arrière, non sur un total grand remplacement physique – quoique les chiffres démontrent que l’on y va à grand pas – mais d’un grand remplacement philosophique, intellectuel où le sacré, la culture, l’histoire seront remplacés par le divertissement, Tik-Tok et toutes ses saletés numériques qui abrutissent l’individu et le rendent captif d’un outil qui ne lui sert à rien, sauf à perdre son temps…

François Xavier

Bernhard Schlink, La petite-fille, traduit de l’allemand par Bernard Lortholary, coll. Du monde entier, Gallimard, février 2023, 338 p.-, 23€

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