Bruno Krebs le burlesque

Après L’Ile blanche et Dans les prai­ries d’asphodèles, Bruno Krebs mène un peu plus loin ses che­mins d’élé­gie et d’oni­risme voire d’orphisme.
Avec  une bonne couche d’humour, les pos­sibles lamen­tos se gau­chisent en une poé­sie buco­lique et des­crip­tive que le radi­ca­lisme de l’écriture évite de faire mari­ner dans le lyrisme. Lieux et moments se suc­cèdent dans une prose poé­tique sus­cep­tible à créer un ver­tige tou­jours très spé­ci­fique à un tel auteur qui nous fait appré­cier au pas­sage des crêpes bre­tonnes du meilleur aloi (et ce n’est dans son œuvre la pre­mière fois).
Le ver­tige s’opère aussi par un phé­no­mène sty­lis­tique : car le nar­ra­teur c’est bien vous puisqu’il est je et vous dépos­sède de tout, iden­tité com­prise. C’est comme si “au bras” ( si l’on peut dire ) de cet Ulysse désaxé nous allions nulle part en ten­tant d’aller par­tout au moment où la vie et son après se plaît à jouer des tours et retours.
Le bur­lesque est le meilleur contre-poison à cette épo­pée fan­tas­ma­go­rique où l’amour lui-même qui n’est pour­tant pas traité à la va-vite peut être par­fois ren­voyé à une plai­san­te­rie de der­rière bien des fagots. Le tout au nom du Père qui n’est hélas plus aux cieux mais conti­nue à embri­ga­der le mar­mot marmottant.
Le poète déplace les lignes de fuite, les rap­proche en suc­ces­sions de moments entre déri­sion et dérai­son. Là où se conjuguent entre les vivants et les morts, bien des légendes. Elles roulent leurs chi­mères dans les aiguillages de l’insomnie.
Sur les îles les plus éloi­gnées, les mots se chu­chotent dans l’écume de leur plage. Le lec­teur entend les accords dans le chant des sirènes, il écoute gémir les grands voi­liers et les radeaux qui craquent. Mieux peut-être que le nar­ra­teur empa­paouté par gor­gones ou suc­cubes. Elles volent le tri­dent de Nep­tune et les cordes au possible.

Jean-Paul Gavard-Perret

Bruno Krebs, Styx, L'Atelier Contemporain, mai 2022, 296 p.-, 20É

Aucun commentaire pour ce contenu.