Charles Baudelaire (1821-1867), poète auteur des Fleurs du Mal, traducteur d'Edgar Poe et critique. 

Le Baudelaire de Walter Benjamin, enfin exhumé & ressuscité

Georges Bataille

 

Petite cause grands effets : qui aurait pu se douter que quelques liasses de feuillets, découverts au hasard d’un inventaire d’archives à la BnF, allait bouleverser les certitudes et redimensionner la perspective – désormais cavalière – avec laquelle on jugeait Walter Benjamain à l’aune des tragiques et fertiles années de la fin de sa vie… On savait qu’il avait eu des relations houleuses avec Adorno autour de l’idée d’un grand livre construit sur l'idée de Paris, capitale du XIXe siècle. Face à tant de mépris, Benjamin développe une autre idée, ce qui n’était qu’un chapitre parmi d’autres, et ainsi, entre 1933 et 1936, Baudelaire devient alors un schème littéraire en perpétuel mouvement, sans parvenir encore à s’établir comme un livre à part entière… mais, les années passant, les versions variant, le travail aidant, Walter Benjamin parviendra à organiser ses notes et ses plans pour parvenir à arracher le sujet Baudelaire du projet initial.

 

Ce sera donc en 1981 que Giorgio Agamben découvre, dans un placard, ces liasses manuscrites dans les archives de Georges Bataille, ancien conservateur de la BN, laissées en dépôt par sa veuve... et oubliées. Michel Espagne et Michael Werner furent les premiers à mesurer l’importance de la découverte ! Après avoir passé à la loupe lesdits, ils affirmèrent sans la moindre réserve, que ces manuscrits parisiens permettent une "nouvelle évaluation de la dernière production de Walter Benjamin" et qu’émerge "au premier plan le travail sur Baudelaire", injustement tombé dans l’oubli.

 

Le présent volume est une tentative (réussie !) d’offrir (enfin…) une édition historico-génétique qui permette, sur la base de l’ensemble de la documentation aujourd’hui accessible, de suivre de manière exceptionnellement riche et articulée la genèse et le développement, dans les différentes phases de sa rédaction, du work in progress que constitue – en un certain sens – la somme du dernier Benjamin.

 

On remerciera jamais assez ce hasard (probablement unique ?) dans l’histoire de la littérature qui a mis la lumière sur ces manuscrits parisiens (et en particulier, grâce aux Listes thématiques et aux Feuillets bleus, respectivement les sections III, 2 et IV, 3, 1 de la présente édition) pour qu’ils soient désormais accessibles et que le lecteur lambda puisse suivre de près le mouvement intérieur à travers lequel la documentation, dans son développement vers la rédaction, est venu croiser le réseau gradué de la construction. Par ce tour de magie, en sus de posséder les notes et l’œuvre, on a, par la grâce d’un tour d’animation, l’accès à l’observation du fichier pendant qu’il se transforme et s’ordonne vers la rédaction tout en nous mettant à nu ses lignes de développement interne.

 

Prodigieux, étonnant, particulier, explicite, incontournable ; autant de signes qui ne trompent pas. Ce livre est désormais un classique, que l’on soit du côté de Baudelaire, de Benjamin ou tout simplement curieux des processus de création littéraire, de la genèse au développement final. Un grand coup de chapeau, aussi, à cet éditeur indépendant qui a su oser un tel pari.

 

François Xavier

 

Walter Benjamin, Baudelaire, édition établie par Giorgio Agamben, Barbara Chitussi et Clemens-Carl Härle, traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau, La Fabrique éditions, octobre 2013, 1040 p. – 30,00 €

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