Christian Lacroix et la Princesse de Clèves

Comme tout gamin des années 60 un peu curieux de littérature (ce qui était fréquent à l'époque), Christian Lacroix est fasciné par la collection Blanche de Gallimard et par le naissant Livre de Poche. La plupart des garnements frustrés élurent dans cette édition bon marché L'Amant de Lady Chatterley. Le texte portait en lui des émancipations érotiques. Christian Lacroix était-il plus sage ? Sans doute puisqu'il fut plus ému par La Princesse de Clèves et son crève-cœur .
En guise d'hommage à cette émotion première, il investit la Collection Blanche pour sa "lecture" de ce texte magique. L’artiste prouve que dans ce livre  les raisonnements ne roulent pas exclusivement sur le critère de la Vraisemblance. Pour lui le récit est bien plus que le médium d’une discussion philosophique mondaine. Et l’œuvre possède une portée contemporaine en exprimant des préoccupations féminines et/ou féministes. Laccoix l’a bien compris : d’où sa volonté de réactualiser l’œuvre. Il en retient le symptôme  qu’il magnifie avec drôlerie au sein de sa princesse.
C’est là tout le charme d’une œuvre rare. Les cartes du tendre y sont faussées. Il s’agit plus d’une question d’ensevelissement que de prise là où tout reste en obscure clarté colorée et enjouée. Nous voici presque malgré nous ramenés à un espace de la déposition s’agissant du corps en tant qu’objet de perte et de résurrection. Le secret vient une fois de plus affirmer son autorité car il est au bord du corps. 
Mais de quel corps s’agit-il ? De qui est ce corps ? Voilà les questions dangereuse puisqu’il s’agit de celles de l’identité. En les posant à travers Madame de Clèves, Lacroix, pareil au jeune Igitur de Mallarmé descendant  le caveau des siens  s’introduit dans le temps où le moi pur veut se confondre avec celui d'un autre temps à travers cette Princesse exposée à la réminiscence du vide sépulcral  mais aussi au désir.
Devant elle et ses bijoux secrets il est ravi. Mais il la rapproche de notre époque qui semble  fausser les cartes. Dès sa première lecture Lacroix comprit qu'il s’agissait d’une question sinon d’ensevelissement du moins de prise.
Toutefois, à travers cette approche, la question de l’être reste celle du mystère, du secret comme lorsque le phallus s’enfonce et joue dans la crypte ouverte faisant du vide un plein et de deux amants les gisants de l’apparentement. A partir de là le voyeur croit voir le jour. Mais il perçoit à travers les interventions du plasticien un corps non fantasmé mais celui qu’il fantasme forcément puisqu’il y est peu ou prou invité.
L'artiste place ses folles envolées là où les ombres passent et disparaissent. La Princesse réinvente le secret, le tombeau, la solitude. Mais soudain le voyeur ne peut plus sortir de la crevasse lumineuse que fait l’image lorsque Christian Lacroix l’ouvre et que le premier tombe dedans. S'’instruit un dialogue amoureux dans lequel la distance joue son rôle et arrache le roman au barbouillage psychologique au profit du décryptage tel qu’il fut vraiment et tel qu’il demeure.

Jean-Paul Gavard-Perret

Christian Lacroix, Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves, Gallimard, avril 2018, 208 p.-, 45€

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