L'exégète qui montre comment écrire une tempête qui se lève, permet aussi de faire éprouver au lecteur les effluves dont les tourments psychiques sont trop souvent des affres physiques et atmosphériques. Au-delà d'une pure analyse, Georges Didi-Huberman ouvre, jusqu'entre les linceuls de l'histoire de l'art,  une vaste phénoménologie du monde visible. Elle se manifeste en particulier chez Hugo dans l'immanence même de ses images.
Il met à nu ce qu'il nomme les chimères hypocondriaques de certains portraits de la pré-Renaissance. L'effet paradoxal de la retenue du visage qui trouve ses sources dans la tradition classique de Giotto devient  le plus proche possible des sensations et de la perception de l'existence.  Didi Huberman explique ainsi comment l'art de la Renaissance  transpose le fantasme par la création d'interférences multiples là où ce n’est pas le sujet mais sa façon de l’aborder qui le fomente : L'ombre de la chair doit être de terre brûlée . 
L'auteur  appelle à revenir au précepte de le Renaissance – Vinci compris. Tout se passe comme s'il fallait rayer de la carte du visible certaines empreintes qui possèdent d'ailleurs un arrière-fond religieux. Il met depuis des siècles l'opprobre sur l'image et nie sa légitimité non de représentation mais de présentation. Mais on ne se débarrasse pas toutefois aussi facilement du livre de Didi-Huberman. Il y refonde, d'une certaine manière, l'histoire de l'art. Même avec Giotto comme il le précise à propos du portrait de Dante L'image mieux que tout autre chose manifeste probablement cet état de survivance qui n'appartient ni à la vie tout à fait, ni à la mort tout à fait, mais plutôt à ce genre d'état aussi paradoxal que celui des spectres qui, sans relâche, met du dedans notre mémoire en mouvement.

Jean-Paul Gavard-Perret

Georges Didi-Hubeman, Des visages entre les draps. La ressemblance inquiète vol. II, coll. Art et Artistes, Gallimard, avril 2024, 272 p.-, 21€