Bernadette Lafont, une vie de cinéma

Voici un beau livre. Un vrai. Je précise parce qu’on nous fourgue trop souvent des beaux livres qui n’en sont pas. Des bazars grand format avec des photos sans intérêt placées à la va comme je te pousse autour d’un texte inepte. Or, pour avoir un beau livre il faut un tout : un sujet, un choix d’illustrations, un propos solide, une maquette mettant l’ensemble en valeur et, on l’oublie trop souvent, un bon imprimeur (combien de livres gâchés par des imprimeurs chinois qui ne savent pas distinguer un beau cliché d’un dessin d’enfant ?). Ici, tous ces ingrédients sont réunis pour un beau livre. Un vrai (bis repetita placent). De la belle ouvrage, comme on disait en des temps reculés.


Bernadette Lafont avait, de son vivant, rédigé plusieurs livres de souvenir : La Fiancée du cinéma (Olivier Orban, 1978), Mes enfants de la balle (Michel Lafon, 1988), Le Roman de ma vie (Flammarion, 1997). Ce n’est pas une raison pour ne pas lui consacrer un nouveau document très richement illustré (comme aiment dire les éditeurs) et contenant moult documents inédits. Dont des lettres. Adressées par Bernadette à sa mère (à ses débuts) et que des cinéastes (dont Truffaut) lui envoyaient. A cela s’ajoute une longue interview de la miss qui revient sur pratiquement tous ses films sans s’appesantir sur une analyse mais en essayant de les rendre vivants, c’est-à-dire de nous faire partager ses bonheurs et des déceptions de tournages.


L’auteur, Bernard Bastide, connait son sujet. Il sait tout sur Bernadette, l’a suivie pendant longtemps (de 1987 à 2013) et restitue tout cela non comme un fan aveuglé mais comme un observateur avisé voulant rendre hommage.


Personnellement, j’ai eu l’occasion de revoir Bernadette Lafont lors de la sortie de Paulette, qui connut le succès que l’on sait. Un déjeuner très agréable au cours duquel elle répondit avec à la fois franchise et timidité à toutes les questions. En la regardant, et surtout, en l’écoutant, je ne pouvais m’empêcher de penser à Arletty. Une sorte de gouaille populaire qui ne les empêchait pas d’être des grandes dames.


A lire ce livre, si documenté, je me rends compte que j’avais oublié bien des pans de la carrière de Bernadette. Son parcours, la diversité de ses films sont tout bonnement incroyables. Passant de la Nouvelle Vague au film d’auteur audacieux (La Maman et la putain…) et aux comédies franchouillardes (On n’est pas sortie de l’auberge…) pour revenir à des œuvres plus personnelles. Sans distinguo. Dans son interview, elle assume tous ses choix, plaçant toutes ses prestations sur une sorte de pied d’égalité. Une comédienne qui affirme : « Moi, je préférais tourner avec Max Pécas qu’avec Maurice Pialat, ça s’est sûr ! » (p 204) ne peut pas être une mauvaise personne. Même si elle parlait du comportement des deux cinéastes et non de leurs œuvres.


Bernadette ne fait pas que raconter ses films, elle parle aussi de son enfance, de ses maisons et, bien entendu, de ses filles. Le résultat est à son image : touchant et sans prétention. Il faut donc remercier Bernard Bastide de lui avoir offert un si beau cadeau (puisque c’est un peu comme cela qu’elle envisagea le projet) et de nous le faire partager.


De plus, pour les férus de cinéma, ce beau livre (j’insiste) se prolonge par une filmographie très complète (avec résumés), fait finalement devenu très rare dans les ouvrages sur le 7ème art où les auteurs se montrent convaincus que le lecteur sait tout (mais s’il sait tout, il n’a plus besoin de lire leurs livres !).


Je me permets toutefois de signaler que le réalisateur de Paulette n’est pas Robert Enrico mais son fils Jérôme (p 76).


Enfin que tous les amateurs de Bernadette courent voir Attila Marcel (son ultime prestation) – où elle forme un beau duo avec Hélène Vincent - avant qu’il ne disparaisse de l’affiche.


Philippe Durant


Bernard Bastide, Bernadette Laffont, une vie de cinémaAtelier Baie, octobre 2013, 352 pages, 49 €


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