Si vous êtes cinéphile, il n'est pas vraiment nécessaire d’inscrire "Charlie et la chocolaterie" sur vos tablettes.
LE COUP DE BARRE DE TIM BURTON
Certes, il n’y a jamais eu d’Arlésienne dans l’Arlésienne, et il n’y pas plus d’automne que de Pékin dans l’Automne à Pékin. Et cela n’a jamais dérangé personne. Mais il y a vraiment un Charlie dans le roman Charlie et la chocolaterie, et c’est à lui que sont censés s’identifier les lecteurs de ce classique de la littérature enfantine. Et c’est là que le chocolat devient rance.
Résumons l’intrigue en deux mots, ce qui n’est d’ailleurs pas très difficile, puisqu’elle est construite sur un principe d’élimination aussi répétitif que celui des Dix petits Nègres d’Agatha Christie. Willy Wonka, excentrique propriétaire d’une gigantesque fabrique de chocolat qu’il fait tourner avec l’aide de personnages sortis d’Alice au pays des merveilles, se découvre un jour un cheveu gris et se dit qu’il est temps pour lui de désigner un successeur. Pour ce faire, il dissimule « cinq tickets d’or » dans les millions de tablettes de chocolat qu’il expédie à travers le monde. Les cinq enfants qui trouveront ces tickets auront le droit de visiter la fabrique, d’ordinaire plus hermétiquement close que le Pentagone (car, on le sait bien, l’espionnage industriel n’est jamais aussi agressif que dans l’industrie du chocolat…). En fait, ils ignorent que cette fabuleuse visite qui leur est offerte est un test au terme duquel Wonka établira son héritier. Celui-ci sera, on l’a deviné, le Charlie du titre.
Nous avons toujours eu
beaucoup de mal à comprendre les raisons du succès, d’abord anglo-saxon,
puis assez rapidement international, de ce roman de Roald Dahl, ou
plutôt nous avons toujours eu peur de trop bien les comprendre. Dahl est
assurément un excellent écrivain (ses Tales of the Unexpected, pour
ne citer qu’eux, font déjà partie des classiques de la littérature
fantastique du XXe siècle), et c’est aussi un remarquable scénariste (on
lui doit le scénario d’un des meilleurs « Bond », On ne vit que deux fois), mais son Charlie est
un monument de conservatisme éhonté qui n’a pu gagner sa place
officielle dans les écoles que parce qu’il a dû rencontrer les fantasmes
de certains enseignants pour lesquels le bon élève ne saurait être
qu’un élève muet atteint de catatonie.
Que se passe-t-il en effet lors de la visite de la fabrique ? Maître Wonka multiplie les interdictions dignes des supplices de Tantale : les enfants ont le droit de regarder, mais il leur est interdit de toucher les chocolats ou même les machines qui les produisent, la raison officielle étant que tout cela n’est peut-être pas encore au point et pourrait nuire gravement à leur santé. Évidemment, ils succombent à la tentation les uns après les autres. Il succombe, le jeune Allemand obèse. Elle succombe, la petite Anglaise qui se prend déjà pour la reine d’Angleterre. Et la jeune Américaine aussi triomphante que Liz Taylor interprétant Cléopâtre. Et le jeune garçon obsédé par les cours de la bourse et les jeux vidéo, que même son propre père a du mal à comprendre quand il ouvre la bouche. Tous succombent, sauf Charlie, le bon petit garçon qui sait ne pas transgresser les interdits. Le petit saint qui partageait religieusement sa seule tablette de chocolat avec ses parents et ses grands-parents, mais qui ne lève pas le petit doigt quand il voit ses compagnons prisonniers de sables mouvants chocolatés ou enfermés dans de monstrueux alambics.
On espérait, on voulait croire que Tim Burton, qu’on a connu plus iconoclaste, remettrait un peu d’ordre, autrement dit un peu de désordre dans cette fable triste, mais il s’en tient d’un bout à l’autre à cette affligeante morale qui ne voit pas que si, certes, l’éducation doit affirmer la nécessité de limites et de cadres, elle doit aussi — et c’est pourquoi c’est une affaire si difficile — encourager parfois la transgression de ces limites. Si Rimbaud avait eu Roald Dahl et Tim Burton pour professeurs, il ne serait jamais devenu Rimbaud. Perfide roman, film plus perfide encore, qui soulignent, en ne craignant pas de recourir à certaines images franchement répugnantes, le caractère insupportable des quatre compagnons de Charlie pour justifier la bovine passivité de celui-ci. C’est vrai, les quatre morveux sont insupportables, puisqu’ils sont tous mus, d’une manière ou d’une autre, par le désir de manger le monde, mais jamais n’est salué chez au moins deux d’entre eux ce courage qui les fait plonger dans l’inconnu pour trouver du nouveau.
Dans la logique des choses, Charlie nous livre à la fin son secret — définitif — du bonheur. Il suffit de rester dans sa famille ad vitam eternam, collé à ses parents, et à ses grands-parents. Générosité suprême : il associera à la table familiale Willy Wonka, car, voyez-vous, Willy n’avait construit sa gigantesque usine que pour se venger de son dentiste intégriste de père qui lui interdisait de consommer du chocolat. Finalement, c’est bien lui, Wonka, qui mérite d’être sur l’affiche — c’est le seul qui ait une véritable personnalité. Mais Charlie ne manquera pas de lui faire partager très vite son complexe de Peter Pan.
Bien sûr, il convient de saluer la maîtrise technique
de Burton et de ses équipes, qui offrent de bout en bout un travail
éblouissant (même si, comme on l’a dit, tout n’est pas toujours exempt
de laideur), et la première séquence, sur la fabrication du chocolat, a
déjà sa place dans une anthologie des séquences d’ouverture de
l’histoire du cinéma, mais cette profusion matérielle ne saurait faire
oublier la profonde mesquinerie de l’ensemble. On remarquera, entre
autres, comment, quand défilent dans ce film américain des cartons de
tablettes de chocolat destinés à être expédiés dans toutes les grandes
villes du monde, le nom de Paris n’apparaît pas, et comment, dans un
travelling sur une série de drapeaux internationaux flottant au vent, le
drapeau français apparaît en dernier, pratiquement en berne. Berne,
capitale de la Suisse, pays du chocolat. Ouf, l’honneur est sauf !
FAL
CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE
un film de Tim Burton
d'après le roman de Roald Dahl
avec Johny Deep, Freddie Highmore
1h56
sortie en salles juillet 2005
sortie en DVD février 2009
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