La Religieuse, une affaire de femmes

Lorsqu’en 1965, Jacques Rivette décida de porter l’œuvre de Diderot à l’écran, il s’attira les foudres de la censure. Des associations forcément bien pensantes, protestèrent haut et fort clamant que livre et film souillaient l’image de ces femmes qui décident de porter le voile. N’écoutant que son courage, le gouvernement se rangea du côté de ces bénis oui oui et flanqua au film une interdiction aux moins de 18 ans. Eviter à tout prix pas que nos jeunes têtes blondes puissent visionner une œuvre quasi blasphématoire. La petite histoire, jamais confirmée mais souvent colportée, soutient que cette valse de protestations fut orchestrée par Mme Yvonne de Gaulle, épouse du grand Charles, et ancienne élève des dominicaines. De cette triste affaire, les ordres religieux n’en sortirent pas grandis. Presque cinquante ans plus tard, les esprits se sont, plus ou moins apaisés, et le film de Guillaume Nicloux n’a plus à craindre les coups de tampon de dame Anastasie.

 

Cette version, Nicloux ne l’a pas conçue contre la religion mais pour les femmes. L’histoire est celle de la désormais fameuse Suzanne Simonin contrainte, en dépit de sa résistance, de rentrer dans les ordres. Elle rentra surtout en opposition à un système et le paya très cher. Cela se passait au XVIIIe siècle mais, dixit Nicloux, continue d’avoir des « résonnances actuelles ». Vrai que dans de trop nombreux pays, la condition de la femme passe après celle de l’ânesse, de la truie et de la poule.

 

Le rôle de Suzanne est tenu par Pauline Etienne mais, dans la dernière partie du film c’est la présence d’Isabelle Huppert qui apporte à la fois un rayonnement et un éclairage particulier sur le monde cloitré des religieuses. Dans la tenue peu seyante de la mère supérieure du coutent Saint-Eutrope, elle accueille Suzanne en son sein. D’un peu trop près, sans doute.

 

« Nous avons tourné du côté de Chambéry, dans l’un des plus grands cloitres d’Europe, raconte-t-elle. Un endroit magnifique avec une rare qualité de silence. Un silence que l’on retrouve beaucoup dans le film. Tout est important : le décor, le costume, l’atmosphère. Tout cela joue à votre insu. »

 

La voici donc en religieuse qui, certes, a voué sa vie à Dieu mais semble nourrir un attachement particulier vis-à-vis de certaines de ses jeunes consœurs.

 

« Je l’ai jouée avec une certaine innocence, dit-elle. Il ne s’agit pas d’un érotisme torride mais d’une recherche d’affection avec un mélange d’innocence et de choses assez directes. Elle montre une certaine spontanéité. Je n’ai pas cherché à savoir si elle est habituée à ce genre de transports. Je n’en ai pas fait une séductrice professionnelle. Elle souffre, elle est dépassée par les contraintes de son époque mais se rend compte qu’elle fait naitre des attirances et des jalousies. Je dis souvent qu’on ne joue pas un personnage mais une personne, en ce sens qu’il faut lui apporté le plus de vérité possible.  »

 

Plutôt habitué aux polars (Une affaire privée, Le concile de Pierre…), Nicloux ne s’est pas embarrassé d’explications superflues pour filmer cette Religieuse.

 

« Avec Guillaume, explique Isabelle, tout est immédiat. Il capte de manière rapide, sans répétition, sans jamais parler du personnage. Il dit à peine bonjour et fonce. Ce n’est pas de la brutalité mais de la rapidité. Rien de déstabilisant. J’aime sa manière sèche et brutale. Je n’ai pas besoin de me mettre dans un état particulier pour jouer, je n’ai même pas besoin de me recharger émotionnellement. Tout vient naturellement. Lorsqu’il m’a parlé du projet, Guillaume m’a donné à lire un très bon scénario, ce qui est une bonne manière d’intéresser une actrice. Et puis l’idée qu’avec son passé de films noirs, il se coltine un monument littéraire me séduisait beaucoup.»

 

Ils partagent une même vision de l’œuvre de Diderot et du message qu’elle véhicule :

 

« Guillaume a fait un film sur la violence de l’enfermement. Sur la violence d’une emprise, aussi ; en l’occurrence religieuse. On retrouve Diderot aussi dans la drôlerie. Quand j’ai relu le roman, je l’ai trouvé drôle et extravagant face à la violence des sentiments exprimés. Diderot a conservé une distance ironique. Je n’ai pas cherché à restituer le roman mais j’ai été frappé par sa langue magnifique et son ironie. »


Un rôle de plus à l’actif d’Isabelle Huppert, dont la filmographie et le parcours font baver d’envie la quasi-totalité des actrices de la planète.

 

« Dès le début j’ai eu de la chance, confie-t-elle. Dans un parcours de vie, il est difficile de faire le tri entre la chance et la curiosité. Mais j’ai vraiment eu de la chance que des gens soient venus vers moi. Il y a eu des gens importants que j’ai rencontrés par hasard. Michael Cimino, par exemple, a croisé ma route et est venu me chercher pour faire Les portes du paradis. Un tournage incroyable. On passait d’une joie à l’autre : on apprenait à faire du cheval, à faire du patin à roulettes, à tirer, à valser, et cela pendant des jours… Pourquoi lui et d’autres m’ont choisie ? Je ne sais pas. A un moment, on correspond à ce dont les gens ont besoin. Ils ont besoin d’un certain type de personnages et pensent à vous. Comme j’ai toujours eu envie de tourner avec des cinéastes étrangers, cela s’est fait facilement. Mais ce sont toujours des expériences particulières et solitaires. L’acteur dépend beaucoup des autres. Il faut avoir de la patience. Des personnes rencontrées un jour peuvent se manifester des années après. »

 

Sur son chemin, elle a vu et revu des cinéastes avec qui elle a fait deux, trois films ou plus.

 

« C’est plus le réalisateur qui est fidèle à l’actrice que le contraire. Mais c’est délicieux quand un réalisateur vous reprend, c’est comme la confirmation d’un serment. Oui c’est gratifiant. C’est une façon de dire qu’il vous a apprécié, à moins qu’il soit carrément masochiste ! Et s’il préfère une autre actrice pour son prochain film c’est parce qu’il a besoin d’autre chose. Je ne peux pas demander à tous les réalisateurs avec qui j’ai tournés, de n’engager que moi ! »


Son avenir sera forcément peuplé de films dont certains feront beaucoup parler d’eux. Isabelle Huppert aime se confronter à des œuvres fortes, dérangeantes aussi.

 

« Le cinéma est magique parce qu’il fabrique de la fiction. J’aime trop le cinéma pour que le moindre film me pose des problèmes. Mon désir d’actrice ne s’est pas modifié depuis mes débuts. Je ne connais pas un seul acteur qui dédaigne un grand rôle ! Je sais ce que j’alimente jour après jour pour mon métier. Je n’ai surtout pas envie que ça s’arrête. Ce qui compte est moins ce que l’on voit sur l’écran que ce qui se passe dans ma tête à moi. »

 

Alors quand on lui parle de cinéma, elle ne répond pas en tant que comédienne, semblant presque oublier qu’elle a joué dans pléiade de films.

 

« Mes émotions sont celles d’une spectatrice, pas d’une actrice. Je me suis construite avec des films et des livres. Les grandes émotions sont encombrantes. »

 

Pas de regard sur son passé, donc ?

 

« Je pense à l’instant présent et à mon futur. Vivre l’instant présent ça prend beaucoup d’énergie. »

 

Philippe Durant


LA RELIGIEUSE

De Guillaume Nicloux

Avec Pauline Etienne, Isabelle Huppert, Louise Bourgoin

1h54

En salles le 20 mars 2013

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