Fred Sallaz est le type même de l’artiste hors norme très influencé par la mouvance alternative. Son but est de mettre en exergue les codes de reconnaissance et d’expression d’une culture parallèle. Celle qui cultive le goût de l’extrême au sein d’un monde en crise en des images festives ou « dark » sans doute  incompréhensibles pour le goût médian et institutionnel. L’artiste se concentre sur la collecte de dessins et pictogrammes à coup (entre autres) de vignettes. Elles ont l’épaisseur de lame qui se retire et mette une lumière dans  la nuit noire des bancs d’arrières-mondes.  Sallaz fait saillir les affres de  seuils. Ils provoquent l’équarrissage mental nécessaire à une vision centrifuge.

Chaque signe n’interrompt jamais sa filiation de poussière sauvage ou d’ange. Il relance, réactive une énergie disloquante capable d’élaborer une grammaire visuelle.  D’une vignette à l’autre, mots et dessins foudroient en interloquant. Leur réverbération attise le parfum de fumées équivoques, assourdit le sens, accroit l’illisibilité de leur charge.  Chaque pictogramme peut être considéré comme un corps négatif. Mais c’est bien plutôt un corps réactif presque animal. C’est l’araignée, c’est le rat qui ronge la maille des apparences afin que s’inscrivent  par delà le réel une autre légende.

Sallaz ouvre à la profondeur des formes les plus simples ; des gouttes d’encre crapuleuses, des rituels « techno » ou gothique. Chaque vignette descend de l’éclat et en même temps s’y tient. Insistance, reprise, dissonance : tout  foudroie. L’artiste permet en plus de découvrir des petites révoltes d’un monde parallèle et souterrain. Au moment où le monde occidental s’embourbe dans la crise, le créateur  permet donc de s’enfoncer en un univers où Mickey flirte avec des vanités. Le tout dans un « summer of love » inversé. Sa strate temporelle s’étend  aux quatre saisons mais elles n’ont rien de romantiques et vivaldiennes. Une « rage against the machines » reste à tous les étages 12 mois sur 12.

Jean-Paul Gavard-Perret

Fred Sallaz, Pickpocket, Editions Derrière la Salle de Bains, Rouen , 8 €.