Henri Meschonninc vers l'existant

Toute ma vie est dans mes poèmes, mes poèmes sont le langage de ma vie : telle est la première phrase et la pétition de principe  de Vivre poème, affirmation que n’aurait sans doute pas renié un Baudelaire. Pourtant il y a loin de la coupe aux lèvres et dire la vraie vie, l’illumination (essentiellement chez Meschonnic) n’est pas chose simple. D’autant que l’auteur précise un peu plus loin que ses poèmes sont les condensations du sens de ma vie. Et c’est là que la  bât blesse. Artaud l’avait d’ailleurs compris : J’ai déjà chié et sué ma vie des écrits qui ne valent guère que les affres dont ils sont sortis. La poésie ne fait donc pas la vie, ni la vie la poésie quel que soit le mal que l’on se donne et l’acharnement qu’on y attache – et sur ce plan il n’y a rien à reprocher à l’auteur d’Infiniment à venir.
Il n’empêche que Vivre poème  reste un livre fascinant  non tant par ses réponses mais par les questions soulevées (et que parfois les réponses brûlent d’un feu dévastateur). Meschonnic a raison d’affirmer un fait majeur de l’acte poétique : Le poète est poète quand il ne sait pas ce qu’il fait. C’est en effet un point majeur : le poème n’est pas une pensée qui s’applique en un "beau" langage (quel que soit ce qu’on met sous cet adjectif), c’est une pensée qui se découvre presque à l’indu de son auteur à mesure que son écriture avance. Toutefois l’auteur émet un bon nombre de découpages sinon aléatoires du moins hâtifs entre vraie et fausse poésie. Il traite, mais ce n’est qu’un exemple, Heidegger et ses suiveurs par dessus la jambe dans des raccourcis pour le moins hasardeux et tendancieux. Et il est regrettable que l’auteur farcisse parfois son texte d’humeur d’un humour facile qui met de fait à mal des passages  où l’essentiel est approché.
On aimerait par exemple un développement plus ample lorsqu’il affirme au lieu de penser poème communément, on pense signe. Je propose de comprendre ce que c’est de penser le signe. Sa réponse reste alambiquée et par trop imprécise par exemple lorsqu’il affirme que l’indicible est exactement le travail d’un poème : être ce qu’un corps fait au langage. C’est à la fois trop et (surtout) trop peu et donc trompeur. Car ce travail du corps est insuffisamment précisé. L’auteur n'en parle que fort peu  : toute son œuvre charpente une pensée plus spirituelle que corporelle, comme s’il s’agissait chez lui de dégelé sans cesse l’esprit congelé dans le corps.
Dans le corps il existe en effet quelque chose qui répond plus que de l’esprit : quelque chose de la langue et qui dans l'effacement la taraude. À l’inverse d’un, Broussard qui considère, à mesure que son œuvre avance, la page comme un espace différent, un espace d'effacement qu’il précise ainsi dans un de ses derniers textes :

N’ajoute rien
à l’épure
Surcharge-là

De blanc titane

afin que quelque chose réponde sans se répandre dans le vide et en le supportant, Meschonnic tend toujours vers ce qu’on pourrait nommer un verbe de la consistance à la fois âtre de l'être et être de l'âtre. 

Jean-Paul Gavard-Perret

Henri Meschonnic, Vivre Poème, Dumerchez, mai 2020, 80 p.-, 15€

Aucun commentaire pour ce contenu.