Douleur universelle

À 19 ans, la narratrice a subi un viol dans une forêt de Normandie.  Douze ans plus tard, lors du procès qui s’ouvre après que l’affaire a été classée au moment des faits, elle affirme qu’elle va bien. Elle a, dit-elle, conservé ses airs trompeurs de Fille à papa. En bon petit soldat qui ne veut pas décevoir ses proches, sûrs qu’elle a dépassé le traumatisme, s’en est bien sortie, elle fait face, s’en persuadant elle-même.
Elle admire les femmes qui peuvent parler en public de leur viol. Elle n’en fait pas partie, donc elle se tait. Et si elle se tait, c’est qu’il n’y a plus rien à dire, que c’est fini.
Mais si elle n’a aucun symptôme visible, les séquelles sont bel et bien là malgré la naissance d’un enfant, de deux bientôt, l’harmonie de son couple. Et le procès qui arrive ne fait que les raviver. Les faits du terrible jour d’hiver lui reviennent en bloc avec l’impression à laquelle, elle s’accroche désespérément : J’étais en vie. Du moins, j’en avais l’air.
L’émotion refoulée depuis toutes ces années fait surface avec la ronde infernale des si, cet archipel des signaux qui auraient pu éviter le cataclysme. Si elle n’avait pas quitté sa famille à quatorze ans, pas choisi Paris, pas vécu telle situation, ne s’était pas rendue dans cette forêt ce jour-là, il ne se serait rien passé, imagine-t-elle. 

Dans Parle tout bas, Elsa Fottorino à défaut de refaire l’histoire, trouve enfin la force de l’écrire. Pas vraiment pour exorciser le mal, il est impossible de dépasser un tel crime, tout juste de l’exprimer : La peur n’est pas partie mais les mots sont revenus.
Sauvée par la littérature, elle dépasse son expérience pour tendre jusqu’à l’abstraction, parvenant à rendre universel le vécu des victimes, par nature très différent. Aucun viol n’est semblable à un autre, aucune personne agressée ne le ressent de la même façon si ce n’est dans une sorte de douleur unanime et partagée par toutes et tous que l’auteure  parvient à faire partager de façon aussi sobre que bouleversante.
Auteure de trois romans, elle est rédactrice en chef du magazine, Pianiste.

Brigit Bontour

 

Elsa Fottorino, Parle tout bas, coll. Bleue, Le mercure de France, août 2021, 154 p.-, 15 €
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