Une vieille dame, Isadora qui a dû quitter la Maison pour la chambre d’un mouroir médicalement adoubé se souvient des merveilleux moments de l’enfance et de l’adolescence passées dans la bâtisse. Un lieu unique que cette haute maison aux planches de bois blanc dont elle est partie, rattrapée par l’âge quelques mois auparavant. L’histoire d’une vie, dont on ne maîtrise pas la fin. 
Elle seule, de tous les frères, sœurs, cousins, qui la retrouvaient l’été, l’aimait assez pour y revenir après ses études et l’habiter ensuite. Des grandes tablées joyeuses de son enfance, des parents, des oncles et tantes, des amis, des cousins ; de la langueur moite des étés, ne restent plus que les souvenirs heureux. Jusqu’aux derniers, au contraire terribles : ceux d’une maison où le vent et les feuilles mortes s’engouffrent par le carreau cassé d’un vitrail, où les cheminées sont murées, où les draps couvrent les meubles.
La narratrice qui donnerait tout pour retrouver la chambre qu’elle partageait avec sa sœur avec les deux petits lits côte-à-côte, celui d’Harriet et le mien, avec la lampe au milieu… ne sombre à aucun moment dans la rancœur ou le désespoir d’avoir perdu sa jeunesse et sa maison. Elle se remémore seulement les jours passés dans la chaleur et la gaieté des débuts jusqu’au froid de la mort qui arrive.

Seule une immense nostalgie affleure et irrigue les pages lumineuses de ce premier roman : Nous laissions les journées s’écouler comme un filet d’or liquide. C’était le temps précieux des heures élastiques, des matinées évanescentes, des après-midi infinies.
Les mânes de La Recherche et de La Cerisaie planent sur ce livre écrit de façon superbe par une jeune auteure de 24 ans. Un roman qui touchera au plus profond tous ceux à qui on a arraché la maison d’enfance et les autres qui pleurent leurs jeunes années. C’est-à-dire, à peu près tout le monde.

Brigit Bontour

Perrine Tripier, Les guerres précieuses, Gallimard, janvier 2023, 183 p.-,  18€