Deux étés 44 – De la guérison de Louis XV à la Shoah : premier roman bouleversant

18 août 1744 : Louis XV, Le Bien-Aimé se meurt de dysenterie à Metz, précipité dans le trépas par des médecins qui s’acharnent à le saigner et à le purger, faute de le soigner. Le monarque de 34 ans ne doit sa survie qu’à l’intervention clandestine d’un praticien juif, Isaïe Cerf Oulman.
En effet, à l’époque, un Juif qui n’est pas considéré comme citoyen français ne saurait être autorisé à soigner un chrétien, encore moins un roi de droit divin.
18 août 1944 : Henri Klotz, qui s’était illustré lors de la Grande-guerre s’éteint dans une annexe de Drancy après avoir été arrêté comme huit autres membres de sa famille qui ne reviendront pas des camps de l’horreur.
Presque huit décennies plus tard, François Heilbronn, son arrière-petit-fils, frappé par la concomitance des dates, établit dans un premier roman magistral, Deux étés 44, la filiation entre les deux héros, avec en filigrane l’histoire tourmentée de ses ancêtres qui apportèrent tant à la nation. 
Son livre, véritable voyage dans le temps emporte le lecteur à la cour de Louis XV, un vrai nid de vipères avec son lot d’intrigues et de courtisans, de médecins incompétents, d’héritier pressé, de maîtresses intéressées avant de le précipiter dans l’enfer de la Shoah par la voix de sa grand-mère. La langue magnifique de la première partie qui aurait pu être celle d’un auteur du siècle des lumières, cède alors la place à des mots qui ont la sobriété et la précision tranchante du mal. Entre le Panthéon et les plaines de Brie, proches de Vaux-le-Vicomte où le narrateur possède des attaches familiales, le souvenir prend alors des accents universels.
Sous la plume vive et sensible du romancier, qui mêle les époques, les péripéties et les drames, la saga des Français juifs s’écrit, dévoilant des pans inconnus de l’histoire. Qui se souvient que le Panthéon fut érigé après la promesse de Louis XV de faire bâtir une église à la flèche plus haute que Notre-Dame s’il survivait à sa maladie ? Qui sait que le maréchal de Belle-Isle, gouverneur des Trois-Évêchés de Metz qui permit grâce à un stratagème d’une audace inouïe et risquée à Isaïe Cerf Oulman de guérir le roi, était le petit-fils de Fouquet ? Les exemples sont légion, les correspondances entre passé et présent innombrables mais bien au-delà de la fidélité historique, le roman est celui, bouleversant d’une famille à travers les âges.  
Deux étés 44 qui devait être à l’origine un essai, voire le récit d’une transmission entre générations est un livre humaniste bouleversant.
L’auteur, vice-président du Mémorial de la Shoah, professeur des universités, associé à Sciences-Po, tisse au-delà de l’épisode de Metz, de la tragédie de la Shoah, de la résurgence de l’antisémitisme, les fils d’une histoire complexe, reliant les époques. Il trace une ligne sinueuse faite de luttes, de tragédies et peut-être au final d’espoir.
Il est des livres qui hantent encore bien après les avoir refermés. C’est le cas de Deux étés 44, porté de bout en bout par un puissant souffle littéraire et historique.
Ce roman se lit d’une traite.

Brigit Bontour

François Heibronn, Deux étés 44, coll. La bleue, Stock, février 2023, 333 p.-, 20,90 €

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