Aimé Bonpland, le séducteur

Aimé Bonpland (1773-1858) continue de séduire. Non plus les femmes, mais les chercheurs, les amateurs de vies d’aventure, les passionnés d’Amérique latine, les biographes et les romanciers.


L’ouvrage d’Eric Courthès, dernier romancier séduit en date, vient s’ajouter à la quinzaine de biographies, plus ou moins romancées, consacrées tout au long du siècle et demi écoulé à ce savanturier, jeune compagnon d’expédition du grand Humboldt en Amérique latine, revenu à l’âge mûr dans l’Amérique des Libertadores, pris dans la tourmente des Guerres d’Indépendance et mort dans un quasi dénuement dans son jardin d’éden du nord de l’Argentine.


Mais dans le cas d’Eric Courthès, parler de séduction serait réducteur. Nous sommes en présence d’un phénomène de subjugation totale, d’une sorte d’ensorcellement, d’un envoûtement qui ne pouvait trouver d’exutoire que dans l’appropriation et la restitution d’une autobiographie de Bonpland, autobiographie apocryphe évidemment bien que constituée de réalités historiques, par laquelle l’auteur se serait libéré de l’emprise qui pesait sur lui en même temps qu’il réalisait la nécessaire fusion avec l’objet de sa fascination.


C’est Bonpland qui parle, à la première personne, par la voix de l’auteur. Et quelle voix ! Bonpland ne parle pas comme cela dans les lettres qu’il nous a laissées. Ici c’est un souffle, tantôt lyrique, tantôt exalté, tantôt épique qui porte, de bout en bout, le récit de la vie de Bonpland. L’opération de transmutation a réussi : c’est bien la vie de Bonpland qui nous est restituée, dans tous ses détails, ses méandres et ses accidents de parcours, mais elle est revécue une seconde fois, en état de transe, par celui qui s’est identifié totalement à son personnage.


Il aura certainement fallu une longue période d’enchantement pour qu’Eric Courthès soit progressivement phagocyté par Bonpland. On imagine qu’à la fin de l’adolescence une période d’errance, sac à dos, en Amérique du Sud fut une phase d’imprégnation préliminaire utile ; qu’un mariage avec une Argentine et un long séjour dans le pays de cette dernière et au Paraguay complétèrent la préparation du terrain. Puis vint « la rencontre » avec Bonpland. Ce fut semble-t-il Augusto Roa Bastos, écrivain et poète paraguayen, qui provoqua chez Eric Courthès la fameuse cristallisation stendhalienne autour de la personne de Bonpland. Tombé sous le charme, dépersonnalisé puis réincarné, Eric Courthès n’avait d’autre choix que d’aller jusqu’au bout : parler au nom de Bonpland depuis l’outre-tombe.


Au total, un livre qu’on lit d’une traite, conduit tambour battant jusqu’à la fin : "Je pense, je revois en rêves les élements dominants de ma vie, il y a des fleuves, il y a des plantes et des épées, des champs de bataille et des troupeaux dispersés, il y a des femmes, des enfants qui pleurent un père absent, toujours explorant, toujours en voyage, avec des quais de port qui défilent, des forêts immenses, dans lesquelles mes pas et mes regards se perdent."


Alain Couturier


Eric Courthès, Le voyage sans retour d'Aimé Bonpland explorateur rochelais, L'Harmattan, avril 2010, 185 pages, 18 €

1 commentaire

MERCI BEAUCOUP MR COUTURIER, DE LA PART DE BONPLAND...