Fragments de pensées et de vie littéraire dévoilés dans quelques lettres de Max Jacob à Tristan Rémy (1922-1923)

Fragments de pensées et de vie littéraire dévoilés dans quelques lettres de Max Jacob à Tristan Rémy (1922-1923)

 

 

Edités et commentés par Alain Ségal

 

 

L’anniversaire d’une mort, ici celle de Max Jacob le 5 mars 1944, permet une résurrection de l’œuvre, des exégèses,  quelques exhumations - ironie du sort qu’aurait sûrement appréciée l’auteur de Saint Matorel ! Le premier feu d’artifice avait commencé en 2012 avec une édition monumentale de ses œuvres chez Quarto, une sorte de tombeau mallarméen de l’édition avec de nombreux inédits et une riche iconographie qui ne peuvent que susciter des vocations ! Si Mob Jacax y ouvre ses veines de poète, romancier, essayiste et conteur, n’apparaît pas l’épistolier. Notre défenseur de Tartuffe aurait commis vingt mille lettres : « Il faut savoir que, chaque jour, le reclus de Saint-Benoît écrivait en moyenne une dizaine de lettres, parfois une trentaine à ses correspondants, à se fidèles amis et à tous ceux qui le sollicitaient au point qu’il dépensa plus en timbres qu’en tabac ! », écrit Alain Ségal qui, lui, a déterré huit lettres, déposées à la bibliothèque de Laon, dont une carte postale et un brouillon de réponse du destinataire, Tristan Rémy. Notons que cette correspondance est envoyée du monastère où il vit en ermite, mais aussi de Paris où il s’est dévoyé pour la première d’Isabelle et Pantalon, opéra-bouffe qui lui rapporta alors 2000 francs, coquette somme pour Max qui « ne roulait pas sur l’or (…) (et) quémandait son dû aussi bien à Gaston Gallimard qu’aux frères Émile-Paul »*

 

Si peu de lettres qui ne dépassent pas quatre feuillets, en douze mois (du 13 décembre 1922 au 17 décembre 1923) pourraient paraître un butin bien maigre, n’étaient les notes et commentaires de l’inventeur qui fait ici preuve d’une érudition peu commune, pour ne pas dire exceptionnelle, sur la bio et bibliographie de ce trublion des Lettres.

 

La singularité du destinataire crée déjà une certaine surprise par rapport à l’entourage attendu de Max, dans le bain du Bateau-lavoir ou dans sa cellule monacale. Tristan Rémy, de son vrai nom Rémy Despré, est un Axonais né en 1897 et mort en 1977.  « Il fut tout à la fois écrivain, historien et journaliste »*. Militant socialiste, ami d’Henry Poulaille, il devient secrétaire de rédaction à L’Humanité. Il écrit des contes et des romans populaires, collabore à toutes les revues de gauche, comme Le Peuple, journal de la C.G.T. où il tient une chronique mensuelle. Après 1945, il s’intéresse aussi au cirque, aux foires et au music-hall. Que cherchait donc cet olibrius, marqué politiquement, dans la compagnie d’un être aussi saint que sulfureux ? Les trois premières lettres sont des pures signes d’amitié : « Je ne dissimule pas mon affection pour vous. Cette affection là demeure si celle qui faisait souffrir mon foie a disparu. » Et notre médecin éclairé, à plusieurs reprises,  souligne ses malicieux propos que son « affection » du foie et des poumons alimente ! Non sans parfois échapper de véritables plaintes : « Ah ! rendez-moi, rendez-moi  les souffrances morales ».

 

Le plus intéressant touche évidemment le côté proprement littéraire et spirituel (n’oublions pas qu’il a eu une vision en 1909 et s’est fait baptiser en 1915 – et, ironie du sort, a été déporté en tant que Juif !). « Toute relation épistolaire, souligne le professeur Ségal, (…) peut sembler parfois plus révélatrice de l’homme que son œuvre, apportant de surcroît des éléments sur l’ambiance intellectuelle du moment. » Et c’est sur cette dernière que notre exégète regorge d’anecdotes, de citations, de renvois et de remarques qui font les délices de cet ouvrage.

 

Quant à Tristan Rémy, alors âgé de 25 ans,  il soumet ses poèmes à cette « sage femme de la jeune poésie », selon la dénomination de Marcel Béalu, pour avoir des conseils de celui-ci, comme beaucoup d’autres et non des moindres le feront : René Guy Cadou, Georges Limbour, Michel Leiris, Dubuffet, etc. sans compter ses complices : Picasso, Reverdy, Mac-orlan etc.  sur lesquels cet ouvrage regorge d’anecdotes et de doctes notes. La carte postale reproduite dans ce livre résume parfaitement l’attitude amicale mais sans concession de Max : « Je savais bien… Tu peux mieux faire ! La perle est sous la coquille, plonge et trouve d’abord l’écaille : la perle y est. Ah ! tu croyais qu’on pouvait atteindre le beau sans souffrances ! Détrompe-toi ! Patience longue, dit Buffon. Aime-moi en frère moi qui t’aime beaucoup. » Tristan Rémy ne s’en décourage pas pour autant comme le prouve la (seule) lettre à l’état de brouillon qui lui destine : «  J’acquiers le courage de tenter une nouvelle épreuve. », mais il tient avant tout à son amitié : « Et que l’opinion que vous aurez du poète ne ruine point celle que vous avez de l’ami. »

 

Ce précieux ouvrage à plus d’un titre nous invite à consulter des études récentes comme celles de la revue Europe dont des experts nous exposent magistralement les différents masques de Jacob dans sa vie parisienne et sa retraite à Saint-Benoît. La Délirante republie en plaquette la conférence de Gabriel Bounoure : « Souvenirs de Max Jacob », parue dans le N°4/5 de la revue éponyme. Elle nous donne un éclairage intéressant sur la relation entre le Défenseur de Tartuffe et Pierre Reverdy au Gant de crin.

 

* Toutes les citations entre guillemets sont de Alain Ségal, sauf mention contraire pour les extraits de lettres.

 

Fragments de pensées et de vie littéraire dévoilés dans quelques lettres de Max Jacob à Tristan Rémy (1922-1923), édités par Alain ségal, Du Lérot éditeur, 126p. 25 €.

Max Jacob, œuvres complètes, collection Quarto, Gallimard, 1824 p., 29,50 €.

Souvenirs sur Max Jacob, Gabriel Bounoure, La Délirante, 42 p..

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.