Jackie Berroyer : Parlons peu, parlons de moi

Difficile de classer Berroyer : il a été tour à tour scénariste pour le cinéma et la bande dessinée, il a promené sa silhouette dans une soixantaine de films, écrit des livres d’auto-fiction déjantée, accompagné le professeur Choron sur la scène de l’Olympia – guitare Rickenbaker en main – et tenu la chronique dans Charlie Hebdo, Hara-Kiri, Zinc, Les Cahiers du cinéma, Libération, Actuel ou encore Vibrations. Dernièrement il nous racontait,  avec ce ton inimitable, l’évolution de son cancer dans Siné mensuel.

 

Malgré ses nombreux talents, Berroyer a le sentiment d’être passé à côté de sa vie, d’avoir fait les choses à moitié. Détestant l’argent, il lui a couru après toute sa vie, comme l’ont fait le fisc et son banquier derrière lui. Eternel adolescent de province monté à Paris dans un train de surprises, Berroyer a tenu tous les rôles, sans jamais jouer le métier. On pourrait dire qu’il s’est laissé vivre. Ce qu’il a choisi par-dessus tout : l’exercice buissonnier des ses passions, un temps libre illimité ou presque. Trois chambres de bonne où s’entassent des milliers de fétiches – livres, films et disques – constituent ce logis d’inconfort que le locataire nous fait visiter en même temps qu’il batifole parmi ses souvenirs.

 

Berroyer aime la musique par dessus tout. Il en écoute plus souvent qu’à son tour. Dans ces chroniques compilées par le bien nommé Dilettante, on partage les coups de cœur et autres dilections pour le jazz, le rock, le blues ou le flamenco : Ecouter Monk me console de ma pauvre vie riche en misères. On remplacera aisément un enregistrement de Thelonious par Miles Davis, James Brown – qu’écoutait Jacques Mesrine quand il n’était pas en cavale ! – Grant Green, les Beatles, Ornette Coleman, Kurt Cobain aussi, John Lee Hooker – faisant fredonner sa guitare –, Rimitti, chanteuse algérienne ou Frank Zappa…

Berroyer est un lecteur patient qui s’est forgé une solide culture d’autodidacte au rayon philosophie. Il n’a pas son pareil pour évoquer Jankélévitch, Socrate, Damascius – capable de pondre cinquante pages sur l’indicible absolu – avec un sérieux qui n’a d’égal que l’autodérision dont il fait preuve en toutes circonstances. L’indicible absolu, Berroyer le goûte chaque fois qu’il est lâché par une femme – souvent plus jeune que lui  – : on ne se refait pas, le touche-à-toutes ne sait pas refuser l’amour quand il se présente. Avec une franchise confondante de pudeur, il égrène ses conquêtes, ses peines de cœur et ses fiascos. L’auteur ne parle à peu près que de lui sans jamais lasser son lecteur, qui en redemande.

 

S’étant promené dans la vie le nez au vent, Berroyer cite Michel Serrault, Roland Topor, Gébé, Maurice Pialat – qu’il a connus –  aussi bien que Platon, Le Corbusier ou Paul Léautaud. Son recueil de chroniques revues et commentées quelques décennies après parution est une savoureuse conversation avec un ami de toujours. On croirait lire Bernard Frank (1929-2006), par moments. Un Bernard Frank rock n’roll qui aurait fréquenté Cavanna plutôt que Françoise Sagan. Les deux nous rappellent la fragilité de l’existence et la futilité de se prendre au sérieux. Et par dessus tout le bonheur de profiter d’une heure de lecture. A moins qu’il s’agisse d’écouter un disque. Ou les deux en même temps, pourquoi pas.  

 

Frédéric Chef

 

Jackie Berroyer, Parlons peu, parlons de moi, Le Dilettante, mars 2017, 288 pages, 20 €

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