Le défi japonais

À l’heure où la Chine vient de détrôner le Japon de sa place de seconde puissance économique mondiale, il était temps d’éclaircir la situation de ce dernier dans le concert des nations après cinquante ans d’une diplomatie des plus particulières. 


Je t’aime, moi non plus

Car le Japon n’est pas un acteur international « comme les autres ». Régine Serra le démontre de manière très claire en décrivant les tendances nippones dans la gestion des affaires étrangères pendant tout le vingtième siècle et plus particulièrement depuis la fin de la seconde guerre mondiale, lorsque les Etats-Unis forcèrent le Japon à adopter une constitution démocratique de leur propre cru. Que ce soit sous le gouvernement du premier ministre de l’après-guerre, Yoshida Shigeru, pour lequel la seule voie était l’alignement sur les Etats-Unis et dont la philosophie dicta la ligne de conduite du Japons de 1947 à 1980, sous Nakasone qui s’était engagé, dans les années 1980, à faire du Japon un pays plus impliqué dans les affaires internationales ou encore sous les plus récents Koizumi, Abe ou Aso, toute la politique étrangère du pays a été subordonnée à celle des Etats-Unis. L’engagement aux côtés des troupes américaines en Irak en 2003, alors même que l’article 9 de la constitution exclue l’existence d’une véritable force armée (autre que purement dédiée à l’auto-défense), en est un des signes les plus récents et les plus frappants. Les Etats-Unis ont une place centrale dans l’essai de Régine Serra qui insiste bien sur l’ambivalence des relations entre les deux pays. Les Etats-Unis ont pu avoir peur de la puissance économique japonaise, leur infliger quelques camouflets diplomatiques comme lors du retournement vis-à-vis de la Chine de Mao dans les années 1970… ils n’ont pour autant jamais pu se libérer de cette alliance essentielle dans le Pacifique. De la même manière, le Japon, menacé par des puissances se trouvant à l’opposé du spectre politique ou nourrissant un immense ressentiment à son égard, n’a jamais pu se détacher du géant américain, alors même que des courants politiques intérieurs ont toujours protesté contre cette dépendance et que la volonté de devenir un rival n’a jamais été totalement masquée. Yoshida lui-même, s’il avait conscience de l’importance de l’alliance, estimait que : « de la même façon que les Etats-Unis furent une colonie de la Grande-Bretagne et l’ont aujourd’hui devancée, si le Japon devient une colonie des Etats-Unis, peut-être les devancera-t-il un jour ». 

Le Japon face au péril… jaune

L’alliance est pragmatique. Mais pas seulement. Après la seconde guerre mondiale, le Japon s’est véritablement engagé dans la voie du pacifisme, de la démocratie et de la protection de l’environnement. Mais la situation géopolitique a bien changé en Extrême-Orient depuis 1945 et le Japon doit miser sur le renouveau asiatique après avoir choisi « la voie de l’occident ». C’est pourquoi la Chine, de la Corée du Sud et le régime délétère de la Corée du nord, Taïwan… sont devenus des pièces essentielles de l’échiquier des affaires étrangères japonaises, avec lesquelles il est cruciale d’opérer un rapprochement.  Un rapprochement très délicat car, comme le disait Nakasone dans les années 1980, « Je pense qu’un siècle doit passer avant que la suspicion et la méfiance de nos voisins ne se dissipent ». La rancœur issue des horreurs de la guerre est loin d’avoir disparu et elle continue à être alimentée par divers scandales régionaux, quand tel ou tel ministre se livre à des hommages en l’honneur des victimes japonaises ou se rend au sanctuaire où sont enterrés les criminels de guerre nationaux. Face au poids toujours plus grand de la Chine, face à la menace militaire que représente le régime de Kim Jong-Il, face à une stagnation économique qui sévit depuis dix ans, le Japon doit réagir et va devoir revoir cette politique étrangère unique au monde qu’il mène depuis soixante ans. Cédera-t-il à la révision totale de sa constitution, notamment en termes militaires ? Ira-t-il dans le sens d’un rapprochement sino-japonais au détriment de l’alliance traditionnelle avec les Etats-Unis ? 

À toutes ces questions qui se posent aujourd’hui au gouvernement japonais, Régine Serra ne répond évidemment pas mais donne des pistes de réflexions et son ouvrage présente l’avantage de résumer clairement soixante ans de la diplomatie nippone. On peut juste regretter que ce petit volume n’ait pas plutôt été édité dans un recueil dédié à la diplomatie extrême-orientale en ce début de siècle. 


Matthieu Buge
 

Régine Serra, Le défi japonais, André Versaille Editeur, janvier 2011, 138 pages, 17,90 €


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