Le dernier train d'Hiroshima


Peu de livres suscitent un tel mélange de fascination et de répulsion. Charles Pellegrino, auteur à la prétention scientifique contestée et bien introduit dans le monde du show-business depuis qu’il a opéré en tant que conseiller auprès de James Cameron pour son block-buster 
Titanic, s’est attaqué aux évènements nippons d’août 1945 pour en tirer un ouvrage assez perturbant. 

Hiroshima puis Nagasaki, deux villes et leurs populations rayées de la surface du globe en un clin d’œil « grâce » à la funeste découverte de la bombe atomique. Pellegrino retrace ces évènements avec une précision hallucinante, tout en laissant la parole à leurs survivants, les Hibakusha. Certains, à l’instar du fameux Yamaguchi Tsutomu, eurent la chance – ou la malchance – d’être de double-survivants puisqu’ils allèrent malencontreusement se réfugier à Nagasaki après avoir subit l’enfer d’Hiroshima. Entre deux destinées nippones, Pellegrino fait aussi la fresque de celles d’individus comme Paul Tibbets, le pilote américain qui, depuis le cockpit de l’Enola Gay, largua Little Boy sur Hiroshima. Très vite, le Pika-Don (littéralement « Eclair-Détonation ») devient un monstre à l’existence quasi-autonome, dont l’apparition surprit tout le monde, et qui s’apprête à hanter le lecteur pendant 440 pages.  

L’auteur a l’honnêteté de préciser en préface que son ouvrage n’a pas pour but de débattre des raisons (ou de la déraison) qui ont poussé les Etats-Unis à déchaîner l’enfer nucléaire sur le Japon et c’est tout à son honneur. Bon nombre d’historiens se sont déjà penché sur le sujet et le cynique coup de poker auquel s’était livré Harry Truman a déjà été maintes et maintes fois décortiqué. On apprécie pourtant le parallèle que Pellegrino dresse entre ces Japonais tentant de survivre dans cette apocalypse sans précédent et ces Américains soit inconscients (les équipes qui larguèrent les bombes sans en connaître la substance) soit horriblement cyniques (des militaires et des physiciens qui réagir d’abord en se disant « ça fait déjà X milliers de Jap’s en moins » ou déplorant le fait qu’Hiroshima fut un raté en termes de puissance destructrice par rapport à leurs calculs). 

On ne peut nier que le travail de Pellegrino est remarquable. On passera outre l’aspect franchement bancal de sa structure, découpée en chapitres aux titres vaguement poétiques et japonisant, comme si ces derniers pouvaient un tant soit peu masquer l’horreur des descriptions qu’ils préfigurent. On passera outre, aussi, une écriture maladroite dont il est difficile de déterminer si c’est la plume de Pellegrino ou celle de la traductrice qui manque de talent. La précision avec laquelle il décrit ces évènements laisse pantois. Mais c’est justement là que son ouvrage devient vraiment problématique.

Certes, la description du Pika-Don, du laps de temps qui survint entre le Pika qui avait déjà causé des dommages irrémédiables sur une immense partie de la population et le Don qui allait pulvériser quasiment tout, est tout simplement passionnante. Mais voilà : pendant des pages et des pages, l’auteur décrit ce qu’il se passa durant les nanosecondes, microsecondes, millisecondes, au moment de la détonation dans la bombe et en-dessous de la bombe. 

« Après un dix millième de seconde, l’air se mit à absorber l’explosion et à y répondre. L’atmosphère qui entourait le point d’explosion forma un gouffre en expansion de vide quasi parfait, se détachant vivement de l’endroit ou s’était trouvé la bombe pour former une caverne de plasma. […] Sous l’hypocentre, le sang dans le cerveau de Mme Aoyama commençait déjà à frémir, sur le point de s’évaporer en un éclair. […] Avant même qu’un seul de ses nerfs ne commence à ressentir la douleur, lesdits nerfs et elle-même cessèrent d’exister ». 

Au-delà d’un verbiage scientifique qui peut paraître de temps à autres un peu ardu (on déplore d’ailleurs l’absence totale de lexique un tant soit peu scientifique), le lecteur finit surtout par avoir lui-même la nausée. Au bout de 150 pages, lorsqu’Hiroshima est un chapitre qui semble clos, on pense pouvoir souffler une seconde, mais non. C’est au tour de Nagasaki, décrit d’une manière sensiblement identique. Comment recevait-on le Pika ou le Don en fonction de la distance qui nous séparait de l’hypocentre ? Comment, si l’on n’était pas mort sur le coup ou dans les heures qui suivait finissait-on par se décomposer en vomissant une partie de son estomac ou par succomber à un milliard d’invisibles hémorragies ? Dans son ouvrage, l’auteur fait surtout  un catalogue d’horreurs. De la pauvre mère, miraculeusement protégée par son immeuble et qui vit son garçonnet disparaître en fumée, aux « alligators », ces individus à la peau carbonisée, en passant par cet homme qui errait sur les routes avec ses tibias claquant sur le sol telles des socques, Pellegrino les passe tous en revue comme si on était tout simplement monté dans le pire des trains-fantômes. Si l’on s’en tient à ces horreurs, Pellegrino n’apporte rien de neuf. Ceux qui s’étaient protégés après avoir vu le Pika ont eu plus de chance que les autres, ceux qui portaient du blanc et non du noir aussi… Ces éléments sont depuis longtemps disponibles dans des ouvrages véritablement scientifiques – moins « grand public » il est vrai, mais à portée de main de celui que le sujet intéresse. Si l’on se penche sur l’aspect humaniste et pacifiste que l’on pouvait attendre d’un tel ouvrage, Pellegrino peine à se mesurer un seul instant à un John Hersey qui avait fait une fresque bien plus poignante et fine des Hibakusha. 

James Cameron serait en train d’adapter ce nouvel ouvrage de Pellegrino pour le cinéma. Le sang en ébullition du cerveau de Mme Aoyama rendra sans doute magnifiquement en 3D. Reste à savoir si l’intéressée aurait apprécié l’hommage, et comment les derniers Hibakusha recevront la chose. 

Matthieu Buge 
 

Le dernier train d'Hiroshima de Charles Pellegrino, traduit de l'anglais par Laure Motet, Florent Massot, avril 2011.440 pages, 21,90€.

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.