Andrzej Zulawski, Un testament écrit en français

De A(ndrzej) à Z(ulawski)

Publication posthume des mémoires du cinéaste franco-polonais Andrzej Zulawski. Les amateurs de rigueur classique n’y trouveront sans doute pas leur compte, mais on reconnaîtra dans ce Testament écrit en français la voix de l’homme qui réalisa Possession ou L’Amour braque.

Andrzej Zulawski est mort le 17 février 2016, quelques semaines après la sortie de son film Cosmos, qui marquait son retour au cinéma après une quinzaine d’années d’abstinence forcée : il avait travaillé sur divers projets ‒ entre autres sur un Jeanne d’Arc ‒, mais n’avait trouvé pour aucun d’entre eux le financement nécessaire.

Cette longue période ne fut pas pour autant une période d’inactivité : pour se « consoler » de ne pas filmer, Zulawski le solitaire écrivait. Le texte publié aujourd’hui chez Filagranowa sous le titre Un testament écrit en français fait partie de cette production littéraire.

On veut bien croire l’éditeur lorsqu’il nous assure, dans une note liminaire, que Zulawski avait manifesté son désir et son intention de publier ces « mémoires » dès 2012. On est moins sûr qu’il les aurait publiés tels quels. Ce n’est pas le mélange des genres, très zulawskien, qui est gênant. Anecdotes et aphorismes font bon ménage. Mais un certain nombre de maladresses, pour ne pas dire d’incorrections grammaticales flagrantes, laissent supposer qu’on a souvent plutôt affaire à des notes qu’à une version définitive. Ne parlons pas de moult références historiques trop précisément polonaises pour être immédiatement accessibles à un lecteur français, dans ce texte dont on nous assure pourtant qu’il a été écrit directement en français… Divers points touchant à la vie professionnelle ou privée auraient peut-être mérité l’adjonction d’un petit « apparat critique ». Seuls les initiés sauront exactement de quoi parle Zulawski lorsque, dès la page deux, il mentionne un procès intenté contre lui par l’une de ses actrices. Et seuls les zulawskistes convaincus comprendront de quoi il retourne lorsque le projet d’un film intitulé Tigre apparaît au détour du chemin. Bref, le naïf qui ouvre ce livre aura l’impression, face à cette suite de paragraphes qui dépassent rarement deux lignes, de se trouver devant un recueil de versets énigmatiques.

Cependant, cette présentation fragmentaire et hérissée s’accorde parfaitement avec la tonalité incantatoire de toutes ces pages, tonalité de rage et de rancœur. À tort ou à raison, Zulawski estime avoir été trahi par les uns et par les autres. Si, par exemple, il ne manque pas d’exprimer une réelle compassion à l’égard de Romy Schneider, il ne lui pardonne pas d’avoir remercié Visconti lorsque L’important c’est d’aimer lui a valu un prix d’interprétation. Il ne pardonne pas à Adjani de s’être faite vite très « lointaine » après Possession. Et lorsqu’il écrit, à propos d’une de ses épouses : « Elle m’a donné un enfant », il rectifie immédiatement le tir : « non, elle s’est donné un enfant ». À vrai dire, Zulawski n’a pas attendu d’être adulte pour être amer : il ne sait pas à qui il en voulait le plus ‒ à sa mère, de tromper son père si ostensiblement, ou à son père, d’être aussi naïf, ou aussi complaisant ?

Dans la nuit des trahisons et des frustrations personnelles, professionnelles et politiques, souvent très étroitement mêlées dans le terreau fécond de la Pologne d’après-guerre, les deux seules lumières sont l’art et le cinéma. Encore faut-il s’entendre sur le sens à donner à ces deux termes. « L’art, c’est le scandale de faire ce qui n’est pas. » On fuira donc le naturalisme comme la peste, puisque « le naturalisme, c’est la nature sans art ». Quant au cinéma, ce n’est pas celui de l’IDHEC, où Zulawski a été admis grâce à une brillante dissertation sur La Règle du jeu, qu’il n’avait jamais vue (il a brodé sur la chasse et la musique…) ; ce n’est pas celui de Godard ou de Truffaut, le premier étouffant son public sous une masse de citations ridicules, le second cachant mal sa nature de petit-bourgeois sous le masque de la révolte. D’autres réalisateurs, moins « brillants » peut-être, lui semblent plus honnêtes. D’ailleurs, il n’a pas craint, un jour, de planter sur le trottoir ses copains de l’IDHEC pour s’engouffrer dans une salle où l’on passait Sissi.

Tant d’aigreur distillée sur cent soixante-dix pages, c’est sans doute un peu trop pour emporter l’adhésion totale du lecteur. Mais ce qui fait passer la chose, c’est, parallèlement, une espèce d’ironie douce, une envie baudelairienne de trouver dans le mal les fleurs du mal, et finalement, derrière le sarcasme, l’immense tendresse d’un grand déçu. Ce mélange sucré-salé, nous le trouvons par exemple dans ce portrait de Joris Ivens, « fameux documentaliste [sans doute convient-il de lire ici “documentariste »] hollandais communiste » :

« Ivens avait débuté avec des films de pluie sur Amsterdam, puis était passé en Espagne la sèche, où il aida Hemingway à bâtir un film sur la guerre antifasciste, puis vint vivre en Pologne populaire y chercher le paradis terrestre.

« On ne lui permit qu’un film, sur une course cycliste, celle “de la paix”, Varsovie-Prague-Berlin.

« Dépité, il alla en Chine, laissant sa femme de Varsovie à Paris, nantie d’un coquet petit appartement et d’un passeport hollandais qui lui permettait les voyages. »

Quelque chose nous dit qu’on a tendance à sous-estimer l’importance de l’humour dans les films de Zulawski.

FAL

Andrzej Zulawski, Un testament écrit en français, Filigranowa, avril 2017, 18,90 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.