Moments donnés - S’expliquer ou s’inventer : les avatars du langage

L’on pourrait se demander d’où est venu à l’animal humain, semblable à tous ceux des autres espèces pour ce qui est des urgences essentielles (celles dont dépend sa survie, c'est-à-dire sa durée d’existence dans le monde), ce désir ou ce besoin de fiction, qui se manifeste en clair dès l’apparition de ses premiers écrits notables (car notés) : La Geste de Gilgamesh, puis la Bible, la Saga des Nibelungen, la Chanson de Roland, l’Avesta, les Mille et une nuits, ainsi de suite…

 

Toujours est-il que, probablement dès les immémoriaux temps mythiques placés sous l’égide de l’oralité, laquelle était principalement fondée sur le principe de l’affabulation débridée, il n’a cessé de se raconter des histoires, les unes récréatives, les autres moralisatrices, le double sens, la métaphore et la parabole y faisant la loi sans partage.

 

Si l’on saisit mal la nature de la nécessité ou de la pulsion qui le conduisit ainsi à  métamorphoser ou transcender l’extrême banalité de sa vie quotidienne (fût-il roi, guerrier ou savant, et pas seulement paysan ou artisan), on ne peut en revanche s’extasier de voir que les Papous, les Hottentots, les Jivaros, les Inuits ont été, et continuent d’être, de tout aussi fervents adeptes de cette galéjade souvent emphatique ou péremptoire, que le furent les prêtres d’Ur, les aèdes, les bardes, les griots, et que le sont les romanciers, les cinéastes, quand ce ne sont pas les politiciens.

 

Ce fond d’affabulation constitue même le terreau sur lequel se sont fondées nos civilisations, nos religions, nos mœurs elles-mêmes.

 

Peut-être faut-il penser que c’est justement cette propension à affabuler, symptôme d’une mythomanie spécifique, qui, nous exhaussant fictivement au-dessus de notre condition, nous a fait croire à la longue que nous étions  sortis de la cuisse de Jupiter.

 

Peut-être ne sommes-nous que des personnages de fiction nés du délire qui les a saisis le jour où ils s’avisèrent de croire qu’ils étaient bien au-dessus des autres bêtes. Rien n’interdit de penser que cela nous a pris dès avant notre sortie des parages de la vallée de l’Omo.

 

Gil Jouanard

(Paris, le samedi 2 juillet 2011)

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