Fable de Polyphème et Galatée

Le Siècle d’or espagnol compte trois grandes plumes : Jean de la Croix (1542-1591), Quevedo (1580-1645) et Gongora (1561-1627), lequel fut trop vite encarté illisible, comme Mallarmé, parce que certains chroniqueurs n’avaient ni l’intelligence, ni la patience, ni la sensibilité pour s’y aventurer… Certes, l’œuvre n’est pas d’un abord facile mais les plus grands plaisirs ne s’obtiennent-ils pas dans l’effort ? Le lecteur aura donc besoin d’un esprit délié, d’un sens de l’allusion et une bonne culture générale (ou un gros dictionnaire à portée de mains).
Gongora n’écrit pas pour tous, il le revendiquait d’ailleurs ; il aimait s’affirmait comme l’écrivain d’une immense minorité. Ce qui ne peut manquer de nous interpeller en ces temps de crétinerie revendiquée et d’école en chute libre (nos chères têtes blondes – enfin plus tellement d’ailleurs – ne viennent-elles pas de terminer bonnes dernières du récent concours européen ?).
Donc, oui, surtout aujourd’hui, lisons des textes de qualité, de très grande qualité, visons au plus haut tant la puanteur du caniveau se révèle omniprésente à tous les étages du spectre culturel : musique, art, littérature, etc.

 

Après deux siècles de pénitence dans les limbes de la mémoire, ce sera la génération 1927 avec Garcia Lorca à sa tête, qui agira pour que l’œuvre soit réhabilitée, grâce notamment au formidable travail éditorial de Damaso Alonso.

 

Gongora c’est donc avant tout, un style, avec cette pratique inégalée du cultisme qui imprègne toute sa poésie. Une manière savante de nommer les choses, de raconter des situations en imitant les techniques de l’Antiquité, aussi bien en matière de genres (comme la pastorale), de thèmes, de lexique (latinismes, termes nobles, références mythologiques) ou de syntaxe (suppression d’articles, ablatifs absolus, hyperbate, etc.) qui devient une signature dont Gongora ne se départira plus.

Il intensifiera ses procédés jusqu’à produire ce chef-d’œuvre ici publié : Fable de Polyphème et Galatée.

 

Dans une algèbre linguistique qui élève, exalte et embellit, Gongora détruit la réalité mais lui offre aussitôt une renaissance transfigurée, nouvelle et inattendue.

Le mythe de Polyphème est l’un des plus anciens de l’humanité : on le retrouve dans l’Odyssée, dans l’Énéide et aussi chez Ovide. On vous sent donc impatient de découvrir comment Gongora va dépeindre l’amour d’Acis et Galatée, le cyclope jaloux qui fait disparaître Acis sous un rocher, Galatée qui obtient des dieux sa renaissance en un fleuve…

 

La traduction du poème est, ici, assortie d’une version en prose adaptée par Alonso. Une mise en miroir qui a un double avantage : aider le lecteur à s’orienter dans le labyrinthe syntaxique et le tissu d’allusions mythologiques ; ensuite par la mise en regard de chaque strophe avec sa glose pour mieux faire toucher du doigt ce qu’est véritablement un poème. C’est un texte d’une force et d’une compacité telles, qu’il ne vaut plus seulement pour ce qu’il dit mais pour ce qu’il est. Pour sa densité intangible, cet objet de langage alors destiné à traverser le temps…

 

La fuyante nymphe, entre-temps, là où

vole un laurier son tronc à l’astre ardent,

autant de jasmins offre à une source

que d’herbe enfouit la neige de ses membres.

Douce la plainte et la réponse douce

d’un rossignol à l’autre, et doucement

l’harmonie offre à ses yeux le sommeil

pour n’embraser le jour de trois soleils.

 

François Xavier

 

Luis de Gongora, Fable de Polyphème et Galatée, version en prose de Damaso Alonso, présentation et traduction de Jacques Ancet, édition bilingue, Poésie/Gallimard n°515, novembre 2016, 224 p. – 8,80 euros

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