"Le Pays des Merveilles" de Culicchia : l'enfance du punk à Turin

Le turinois Giuseppe Culicchia signe un roman de formation corrosif où l’Italie des années de plomb sert de creuset aux révoltes les plus antagonistes sur fond de No Future et d’idéalisme. Quand la nostalgie flirte avec le destroy.

 « Et dans sa chambre, sous le regard ébahi d’Adolphe et le mien, avec les Ramones à fond, il écrit  JE VOUS HAIS TOUS au stylo-bille sur un T-shirt blanc. A part ceux ici présent, il nous fait en souriant, à Adolphe et à moi. »

1977. Attilio, le narrateur, est un adolescent timide et rêveur dans une petite ville industrielle de la banlieue de Turin. Entre un père ouvrier résigné et une mère distante, puritaine et avare, le vide se profile à l’horizon. Le lycée technique ne l’emballe pas, son avenir tracé de comptable encore moins.

Il préfère lire Hemingway et jouer de la batterie sur un baril de lessive avant de pouvoir, sans trop y croire, s’en offrir un jour une vraie. Seuls Alice, sa sœur, partie pour Milan deux ans plus tôt, et son grand-père anarchiste donnent un peu de relief et d’espoir à sa vie plombée d’avance. C’était sans compter sur Francesco Zazzi, dit Franz, svastika sur le torse, son nouveau camarade de classe complètement barré.

A première vue tout les sépare ; Franz est excessif en tout, façon provocateur professionnel ayant pour seule devise, entre quelques slogans qui claquent : rien à foutre ! Un rebelle dans l’âme, radical et inconséquent. Fasciné par le Duce et tout ce qui se rapporte de près ou de loin au fascisme, Franz, le dandy trash, fait du lycée un joyeux bordel, quitte à se griller complétement.

Entre Attilio et lui va naître une profonde amitié et une idée commune : on ne sera jamais ceux qu’ils veulent que l’on devienne. L’explosion du mouvement punk sera alors pour les deux adolescents l’occasion de donner un style à leurs dégoûts, une forme à leur mal-être, une attitude.

« Bestial nom de Dieu : SI J’AVANCE SUIVEZ-MOI, SI JE RECULE TUEZ-MOI, SI JE MEURS VENGEZ-MOI ! Comme la Division Folgore à El Alamein ! C’est comme ça qu’on doit partir. Debout, en regardant la mort en face, comme des HOMMES ! »

Si l’Italie en crise résonne à travers la mélancolie d’Attilio, l’absence de sa sœur et quelques coupures de presse, le tout s’articule principalement sur le quotidien des adolescents. Les cours, les vacances, les fantasmes et les premiers émois. Rythmé par les discours solennels et hilarants de Franz et des dialogues ubuesques et merveilleusement bien sentis, le roman est loin d’être aussi tourmenté que l’époque qu’il décrit.
La fraîcheur est de mise et la critique de la société à travers le prisme de cette jeunesse, qui en fin de compte finit par douter de tout, se moque autant d’elle-même que de ce qu’elle entend dénoncer, souvent sans le savoir. Confusions, raccourcis et expressions tronquées rendent les joutes verbales d’autant plus percutantes, ouvrant de vraies perspectives et touchant juste, l’air de rien.

Les élucubrations de ces adolescents ne sont pas tellement différentes de celles des autres en Europe à la même époque, à la différence près qu’Attilio est un peu trop sensible et Franz un peu trop dingue ; alors pour le coup, les deux réunis ça a une certaine gueule.

On en vient très vite à s'attacher à ces personnages scotchés à 1977, même si Franz en déstabilisera plus d’un — Culicchia ne tape pas vraiment dans la catégorie bouquin punk pour bobos — et à l'approche du mot fin on serait tenté de ralentir le rythme au moment même où celui-ci s’emballe étrangement, mais trop tard : No fun.

Arnault Destal

Giuseppe Culicchia, Le Pays des Merveilles, Albin Michel, août 2006, 385 pages, 22 euros


Aucun commentaire pour ce contenu.