Un homme dangereux.


Tout oppose à priori, la narratrice et Benoît Parent. Ecrivain et cinéaste, elle vient de remporter un certain 

succès avec son dernier film. Très impliquée  dans le combat contre l’antisémitisme, elle est quelqu’u

n qui compte dans le paysage médiatique. Côté famille, c’est plus complexe, elle a certes des enfants magnifiques mais le mari qu’elle aime toujours ne la touche plus depuis des années. Elle a un amant, s’accommode d’une vie plutôt dorée mais bovaryse quelque peu.

Benoît Parent, lui est un écrivain qui a eu son heure de gloire vingt ou trente ans plus tôt mais qui n’est plus lu. Il fait partie de nombreux jurys de prix littéraires, écrit dans un grand hebdomadaire et n’a plus qu’un but dans la vie : être invité dans les soirées, les cocktails pour répandre ses idées d’extrême droite, voire antisémites, le tout, naturellement sur l’air de la plaisanterie. Il semble réunir à lui seul tous les défauts dont un être humain peut être accablé : il est radin, macho, imbu de lui-même et impuissant. Mais surtout, c’est un manipulateur revenu de tout.

L’une a quarante ans, l’autre soixante et rien  n’aurait du les rapprocher sauf le hasard et le machiavélisme de Parent qui écrit à dessein une bonne critique du film de la narratrice.

A partir de ce moment, elle succombe à son charme,  ils s’envoient cent textos par jour. Il l’humilie, lui donne rendez-vous dans un hôtel miteux, sort pour aller à la pharmacie et  ne revient pas. Elle l’attend trois jours durant, abandonnant mari et enfants.

 Il remet en cause son travail, sa judéité, lui ordonne de quitter son mari et ses enfants et de les expédier en Israël ! Bref il est monstrueux.

Comment elle l’intellectuelle engagée, la femme d’expérience a-t-elle pu tomber dans les griffes d’un type pareil ? Réduite à l’état de cruche, elle ne comprend pas ce qui lui arrive mais continue de s’avilir, de se déprécier en sa compagnie.

 Jusqu’au jour où elle décide de se déprendre de cet individu toxique, qu’elle nomme « le cancer » en écrivant leur relation qui étrangement fait écho à la propre histoire de sa grand-mère éprise jadis d’un écrivain collaborateur.

Le roman d’Emilie Frèche quitte alors le ton d’une certaine légèreté parisienne, puisque tout le monde s’amuse à reconnaître celui qui a inspiré Benoit Parent pour basculer dans une autre dimension : celle de la mémoire, de l’écriture, de l’impossibilité d’écrire, de la fragilité des créateurs.

C’est fort, c’est bien écrit, la petite musique prenante et insidieuse d’Emilie Frèche gagne l’âme du lecteur au fil des pages de ce livre qui interpelle par sa singularité.

 

Emilie Frèche

Un homme dangereux

Stock,  283p. ; 19,50 euros.

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