Aliénor d’Aquitaine, d’Isaure de Saint-Pierre : L’itinéraire d’une femme libre

D’aventures en aventures, Isaure de Saint-Pierre nous plonge dans l’univers haut en couleur d’une personnalité étonnement moderne. Une bien belle invitation au voyage.

 

Aliénor d’Aquitaine… Cette destinée hors du commun, revisitée par mille et une biographies, n’attendait plus qu’une autre femme d’exception – en l’occurrence Isaure de Saint-Pierre – pour mettre un terme à certaines idées reçues. Féministe avant l’heure, cette petite fille de troubadour fut deux fois reine, mère de deux rois d’Angleterre (Richard Coeur de Lion et Jean Sans terres) et grand-mère d’un roi de France (Saint-Louis)  considéré comme l’un des trois « grands Capétiens ». Elle fut aussi de toutes les Croisades et fut l’une des premières femmes à s’émanciper de la tutelle familiale, à oser divorcer d’un roi pour épouser un autre futur roi, de dix ans son cadet. Femme libre et indépendante, s’il en fut, Aliénor ne manquait ni de courage ni d’audace, lorsqu’il fallait défendre ses idéaux. Cette amie des poètes était en outre dotée d’un réel sens politique, d’une vaste culture et d’un sacré tempérament, puisqu’à 80 ans passés, elle traversa les Pyrénées à cheval pour aller chercher sa petite fille Blanche de Castille. Ajoutez à ce cocktail détonnant, un caractère bien trempé, un sens inné du quitte ou double, un goût  du risque et de l’aventure qui correspondent totalement aux aspirations de l’auteur.

 

Écrivain à plein temps, globe-trotter à mi-temps, Isaure de Saint-Pierre dont les débuts ont été salués par André Pieyre de Mandiargues, avance dans son œuvre avec l’intuition des romanciers au long cours. Toujours en quête de destinations inédites, toujours en recherche de nouveaux défis, cette exploratrice de l’imaginaire aime à surprendre son lecteur. Pour elle, pas de mission impossible, pas ou peu de soucis de l’étiquette littéraire, pas non plus d’interdits, mais une réelle constance à redorer les blasons du roman historique et à nous embarquer séance tenante dans une fiction à grand spectacle. C’est d’ailleurs en souvenir de quelques joutes verbales avec son père (Michel de Saint-Pierre) qu’Isaure s’est pris de passion pour le personnage d’Aliénor et qu’elle s’est faite l’avocate de cette vie joyeusement dissidente. Il en ressort une épopée jubilatoire qui  nous relate au grand galop toutes les vies de cette muse de l’amour courtois. Chemin faisant, on redécouvre une Aliénor, singulièrement plurielle, résolument stratège, un brin libertine, insoumise et rebelle à tous les dogmes et les préjugés de l’époque.

 

On saute à pieds joints dans cette vision panoramique de l’histoire où  tout est dit dans un style, foisonnant de saveurs et de couleurs. Par leurs côtés très visuels, les descriptions d’Isaure de Saint-Pierre sont de véritables tableaux vivants, où l’or, l’argent, l’azur, le sable, l’hermine, le vair  et la pourpre nous plongent avec bonheur dans la France du douzième siècle. Mais ce qu’Aliénor et Isaure aiment par-dessus tout, ce sont les mots : mots perdus des troubadours et des chansons de geste, mots secrètement aimés, murmurés dans l’intimité du temps retrouvé, mots à l’unisson du corps, de la nature, de l’amour et de certains chants grégoriens qui résonnent encore à nos oreilles… Sans oublier les silences, les moments de rêverie, les instants où tout est encore possible et où Aliénor redevient la lectrice qu’elle n’a jamais cessé d’être…

 

En romancière accomplie, Isaure de Saint-Pierre a l’art de renaître à chacun de ses livres. Sous sa plume, la France médiévale qu’elle aime tant, n’a rien de passéiste. La grande histoire a, ici, rendez-vous, avec la petite histoire et aucun détail n’est laissé au hasard dans cette vaste fresque où  l’auteur nous réserve, en prime, de précieux indices bibliographiques. On sort de ce roman  tout émerveillé de ce souffle romanesque et tout heureux d’avoir suivi à bride abattue cette vie trépidante de liberté d’être…

 

Valère-Marie Marchand

 

Isaure de Saint-Pierre, Aliénor, L’insoumise, Albin Michel, octobre 2013, 409 p, 20,90 € 

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