Jacques Ancet l'accordeur des silences

Dans cet ensemble subsiste l'air qui passe et qu'on ne voit pas (même les lauriers demeurent immobiles…). Il y aussi une chaise, une tasse : on dirait que quelqu'un va venir s'asseoir. On écoute le silence. L'espoir aussi de garder la lumière et de voir poindre un visage  aimé.
Il faut rester ainsi avec le poète entre la clarté et son envers, entre deux mots qui ne disent rien que leur vibration.  Il faut attendre qu'à travers le poème l'ombre redevienne lueur. Attendre aussi quelqu'un. Quelqu'un qui est là qui n'y est pas. Garder, par morceaux de lumière  un peu de chaleur et un si peu de jour - mais pour combien de nuits ? Ne demeurent, au fil du temps et des pages, que des petits bruits perdus parmi les restes d'un naufrage. 
L'accent est mis sur l'intimité, l'immanence, la présence aussi lointaine que le lointain est proche. Ancet évoque la montagne, les prés, les clôtures et les ruisseaux, mais il dit surtout le silence indice d'une ouverture  :
-Voilà le soleil dit une voix.
- Voilà la neige dit l'autre.
- Il faut se taire dit une voix.
- Il faut parler dit l'autre.

Les livres de Jacques Ancet restent des soliloques en hommage à la vie.  Ils permettent de parler à quelqu’un afin de reprendre voix parmi les ombres et parmi les gestes les plus anodins. Peu à peu la phrase se précise, le poème déroule – de livre en livre - son fil interminable. Il est essentiel que le fil ne casse pas. 
Jacques Ancet demeure raccommodeur de silence, jetant ça et là quelques mots, les regardant s'ouvrir.  C’est une autre manière de ne pas rompre – au sein même du soliloque - le dialogue :
Non. Ne t'en va pas. Écoute. Ne serait-ce que le bruits de mes mots 
même si tu ne comprends pas tout, si tu oublies de m'écouter, tant pis, tu seras là encore un peu...
je saurai qu'il me suffit presque de tendre la main pour sentir ta chaleur. Mais les mots me suffisent.

écrit-il dans ce livre – non sans une certaine ambiguïté vis-à-vis de sa correspondante. S’agit-il là d’un trop de pudeur ou par trop de peur ? Est-ce au contraire la preuve inaliénable qu’hors des mots tout lien se délite ?

Jean-Paul Gavard-Perret

Jacques Ancet, Zone franche Volume 2 : 1974-1980, Tarabuste Editeur, 2022, 203 p.-, 14€

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