Erdgeist, pour oublier…

La nature, sauvage, unique, essentielle, est notre Mère à tous, nourricière au premier abord, mystique au second dès lors que l’on comprend d’où l’on vient, de cette eau salée du fonds des temps, éther d’avant le néant. Dans l’anxiogène époque qui est la nôtre désormais, entre une fumeuse pandémie et une réelle violence, notre quotidien aspire à plus d’espace, de liberté, de sérénité ; et où trouver ce cocktail parfait ailleurs que dans la nature ?

C’est dans le grand silence, cher à Jack London mais aussi à Pascal Quignard, que l’on peut se retrouver, rejoindre l’espace infini du monde hors les Hommes qui n’ont de cesse de le détruire. Et ce sera en noir et blanc que Patrick Bogner honorera sa dette envers la Terre, car c’est hors du temps que l’on regarde passer les secondes, c’est hors du temps que l’on arrête le sablier et que s’immortalise pour les siècles des siècles l’instantané de la prise de vue ; et c’est avec la poudre du sfumato noir que s’égrainent les nuances de gris.
Soulages dit bien que rien n’éclaire plus que le noir. L’astuce étant de savoir orienter la lumière, l’inviter délicatement à venir orner tel contour, oublier telle saillie, suggérer telle courbe pour que le miracle de la vue annonce l’émotion qui fera frétiller les poils sur les avant-bras.

Qui pourra encore dire, après ce livre, que la photographie n’est pas un art digne de la peinture ? Personne, tant l’influence de Caspar David Friedrich, extraordinaire peintre romantique allemand du XIXe siècle, vient planer sur les clichés de Patrick Bogner. Par la magie des ombres, du cadre, des sujets, il a su redonner cette atmosphère unique que son pair germanique influait à ses tableaux. 

 

Allant au bout du monde, des Féroé aux Hébrides, en Islande, en Norvège ou aux Orcades, Patrick Bogner sublime la magnificence de la nature sauvage, le déchaînement de la force primitive, essentielle, universelle et indomptable. Dieu est mort nous apprit Nietzsche mais le divin perdure, puisque seule la beauté ici a raison d’être.

Que ce soit des éboulis, des chutes d’eau, des moraines, un pic rocheux ; voire des restes du passage des humains – plateformes à l’abandon, squelettes d’avions, masures en ruine – l’office naturel reprend son droit absolu. Rien ni personne n’entrave la bonne marche du cycle terrestre. Pliant parfois, ne rompant jamais, dame Nature semble dédaigner les cicatrices que nous lui faisons, attendant patiemment que l’on s’éteigne pour recouvrer toute sa grâce au seul bonheur des animaux.

Ce livre n’est qu’émotion…
On voyage entre les clichés, salué parfois par une citation d’un poète, mais la construction est si intelligente qu’elle aura laissé en incipit le texte pour que tout l’envoi ne soit que joie, bonheur et beauté.
Un livre d’extase qui noue le ventre et dessille les yeux de l’âme : oui, la Terre est un miracle renouvelé chaque jour. Mais pour combien de temps encore ?

 

François Xavier

 

Patrick Bogner, Erdgeist, 104 photographies en N&B, 225 x 300, L’Atelier contemporain, juillet 2020, 144 p.-, 35 €

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